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MAIGNAN.

ponses à faire ou de vive voix, ou par écrit. Jamais homme n’aima moins que lui l’oisiveté : il travaillait même en dormant ; car ses songes l’appliquaient à des théorèmes (I), dont il suivait les déductions, jusqu’à ce qu’il fût parvenu à les démontrer : et il lui arriva bien des fois de s’éveiller subitement à cause du grand plaisir que lui donnait la démonstration qu’il avait trouvée. La bonté de ses mœurs, et la pureté de ses vertus, ne le rendaient pas moins digne d’estime, que son esprit et sa science. Il mourut le 29 d’octobre 1676 [a]. N’oublions pas qu’étant allé à Paris, l’an 1657, il fut admis avec de grands témoignages d’honneur aux conférences philosophiques [b] chez M. de Mommor, maître des requêtes [c], et qu’il composait avec beaucoup de facilité, et sans ratures [d].

  1. Tiré du P. Saguens, in Elogio Emmanuelis Maignani.
  2. Il est souvent parlé de ces conférences dans les lettres de Sorbière.
  3. Saguens, in Elogio Emmanuelis Maignani, pag. 46.
  4. Eloquar ne an tacebo incredibilem illam conscribendi sine lituris ullis cogitata sua rapiditatem : Appendicem tertiam tribus horis, quartam conscripsit tribus hebdomadis. Idem, ibid., pag. 48.

(A) La manière dont il explique la conservation des accidens sans sujet... est plus heureuse que celle de M. Descartes. ] M. Rohault a prétendu le contraire ; mais c’était à cause qu’il ne voyait pas la grande difficulté qui résulte de l’explication qu’il prenait pour la meilleure. Voici comment il rapporte celle du père Maignan « Il n’y a rien de si facile que d’expliquer de quelle manière les accidens du pain et du vin subsistent sans le pain et le vin. Car il n’y a qu’à dire en un mot, que le pain et le vin étant ôtés, Dieu continue de faire dans nos sens les mêmes impressions qu’ils faisaient avant qu’ils fussent changés. Aussi c’est en cette manière que ce mystère est expliqué par un célèbre théologien de l’ordre des Minimes, nommé le père Maignan [1]. » Ce que M. Rohault trouve à redire dans cette hypothèse est qu’elle admet deux miracles où il n’en faut qu’un. Quoiqu’il soit vrai, dit-il [2], que Dieu peut produire dans nos sens les impressions du pain et du vin, après qu’ils ont été changés par la transsubstantiation, il n’est plus besoin néanmoins après cela d’avoir recours à un nouveau miracle, comme il semble que fait ce bon père : parce qu’il s’ensuit de l’essence même du mystère (qui est, que le pain est effectivement changé au corps de Jésus-Christ), qu’on doit continuer de sentir toutes les mêmes apparences qu’on sentait auparavant ; c’est-à-dire que les accidens du pain et du vin doivent subsister. Ce cartésien prétend [3] que le corps de Jésus-Christ occupe de telle sorte la place du pain, que les mêmes intervalles précisément qui servaient de lieu au pain, sont ceux où le corps de Jésus-Christ se range, laissant à la matière qui remplissait les pores du pain, les mêmes espaces qu’elle remplissait auparavant. Il s’ensuit de là que les parties du corps de Jésus-Christ prennent la figure, la situation, et en général tous les autres modes du pain, et par conséquent qu’elles sont du pain ; car, selon M. Rohault, l’essence du pain, ou la forme qui le distingue de tout autre corps, n’est qu’un certain assemblage de modifications. Il y a donc nécessairement du pain partout où se trouve cet assemblage. Or il se trouve dans le corps de Jésus-Christ au sacrement de l’Eucharistie : ce corps donc n’est autre chose que du pain ; et ainsi ce grand mystère consisterait à détruire un morceau de pain, et à remettre un autre morceau de pain à la place de celui qui a été anéanti. Cela est absurde, et tout-à fait éloigne de la doctrine du papisme. Il est vrai que dans cette

  1. Rohault, Entretiens sur la Philosophie, pag. 48.
  2. Là même, pag. 55.
  3. Là même, pag. 55, 57 et suiv.