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MAHOMET II.

et ce que maintenant tu occupes avec violence et injustice, tu le possèderas de droit et avec équité. Tous les chrétiens t’honoreront et te feront arbitre de leurs différens, etc. Et derechef : Si tu étais baptisé, et que tu entrasses avec nous en la maison du Seigneur, les peuples ne redouteraient pas ton empire, et nous ne les assisterions pas contre toi ; mais plutôt nous implorerions ton bras contre ceux qui usurpent quelquefois ce qui appartient à l’église romaine, et qui lèvent les cornes contre leur mère. Et comme nos prédécesseurs Étienne, Adrian et Léon, appelèrent à leur secours Pépin et Charlemagne, contre Astulphe et Didier, rois des Lombards, et après avoir été par eux délivrés de l’oppression des tyrans, transférèrent à leurs libérateurs l’empire des Grecs, nous aussi nous emploierions ton assistance, et ne te serions point ingrats du bienfait que nous aurions reçu. Lecteur, qui lis et qui médites ces choses sans passion, remarques-tu donc aucune trace de l’ambition d’Eugène en cette épître ? Plutôt n’est-ce pas son zèle qui le fait ainsi parler pour toucher le superbe courage de ce barbare ? Et promet-il rien à Mahomet dont toute la chrétienté ne l’eût avoué, si ce barbare eût voulu recevoir ces conditions que Pie lui proposait ? » Voilà un langage très-capable de prévenir contre M. du Plessis, ceux qui ne sont pas accoutumés à la lecture des livres de controverse, j’entends une lecture de discussion, et par laquelle l’on confronte et l’on collationne les pièces, pour bien comparer ensemble les réponses et les répliques. C’est presque le seul moyen de bien apprendre que ceux qui se donnent les airs les plus triomphans, et qui poussent les exclamations les plus tragiques, sont pour l’ordinaire dans quelque fâcheux détroit, et dans la nécessité de suppléer par des figures de rhétorique ce qui manque à leurs raisons. Ceux qui sont rompus dans l’espèce de lecture que j’ai marquée, et qui outre cela s’intéressent tendrement à la gloire et à la mémoire de M. du Plessis Mornai, liront sans frayeur toutes les paroles de son adversaire ; mais s’ils étaient des novices, et qu’ils ne fussent pas secourus très-promptement par le préjugé, que Coëffeteau, étant un dominicain, ne manie pas fidèlement la controverse, ils auraient bien peur que du Plessis ne se fût trompé ; ils le croiraient battu sans ressource, et ils s’informeraient impatiemment si lui ou quelque autre n’ont pas répondu à Coëffeteau. Quelle qu’eût été leur inquiétude, ils ne pourraient plus douter de la victoire de leur champion, en examinant la réplique de Rivet. Et ceci doit nous tenir bien avertis que pour obéir au précepte audi et alteram partem, entendez aussi l’autre partie, il ne suffit pas d’examiner ce que Jean dit et ce que Pierre répond ; il faut aussi s’informer de ce qu’on répond à Pierre.

Rivet, répondant pour du Plessis, avoue que la longue lettre de Pie II à Mahomet contient de fort bonnes choses contre la créance des Turcs, pour la confirmation de la foi chrétienne. Mais, ajoute-t-il [1], « outre que le dessein semble assez inutile d’avoir voulu convertir ce prince par une épître, qui n’était pas chose apparente, il y a une malice diabolique. C’est qu’au lieu de faire paraître que les pauvres chrétiens grecs, sous l’empire de ce barbare, faisaient pitié à ceux de deçà, et l’exhorter à les traiter humainement, il semble avoir entrepris cet écrit pour les dénigrer comme faux chrétiens, et faire paraître que leur perte ne touche guère les Latins. Notre histoire ajoutait ce trait d’ambition, par lequel proposant à Mahomet, moyennant qu’il se fît baptiser, le paisible empire de ce qu’il avait usurpé, lui promettant que tous le feront juge de leurs débats ; que de tout le monde on appellerait à son jugement (pensez si les princes de long-temps chrétiens ne lui avaient pas une grande obligation !) ; que plusieurs d’eux-mêmes s’assujettiraient à lui, subiraient son tribunal, etc. Il ajoute, que la charité de l’église romaine sera envers lui non-seulement comme envers les autres rois, mais d’autant plus grande que plus

  1. Rivet, Remarques sur la Réponse au Mystère d’Iniquité, IIe. part., pag. 617.