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MAHOMET II.

dùm ait Romanos seu Latinos constanter asseverare, hanc cladem contigisse Græcis in ultionem eorum quæ olim fecissent barbaris in destructione Ilii : quod videlicet dicantur Romani à Trojanis descendisse [1]. Selon cette belle chimère, il ne faudrait pas laisser les nombres dans le Décalogue tels qu’ils y sont. Il faudrait croire que Dieu visite l’iniquité des pères sur les enfans, non pas jusqu’à la quatrième, mais jusqu’à la millième génération, et ce serait ici que la prescription n’aurait jamais lieu,

Delicta majorum immeritus lues,
Romane [2].


La France aurait sujet de craindre que d’ici à deux mille ans, une irruption de barbares ne vînt venger les injures que les Romains et les Grecs reçurent des Brennus.

(P) La traduction de ses Lettres a vu le jour : j’en parlerai ci-dessous. ] Elle fut imprimée à Lyon, in-4°., l’an 1520, et puis à Bâle, avec les Épîtres de Symmaque, chez Frobenius [3]. Elle fut insérée ensuite dans un recueil de lettres que Jean Oporin publia à Bâle, l’an 1554, in-12 [4]. Ce recueil avait été compilé par Gilbert Cousin, et intitulé : Farrago Epistolarum Laconicarum et selectarum. On réimprima à Marpourg la traduction de Laudin, in-8°., l’an 1604, et on l’a réimprimée à Leipsic, in-12, l’an 1690, par les soins de Simon Gæbelius Romhildensis Francus [5]. Melchior Junius, professeur en éloquence à Strasbourg, publia à Montbelliard, en 1595, un recueil de lettres, qui en contient trois qui avaient été écrites à Scanderbeg par Mahomet II. Le compilateur les a tirées de l’ouvrage de Marin Barletius, de vitâ et gestis Scanderbegi. Il y a joint les trois réponses qui furent faites au sultan. La férocité turque ne paraît aucunement dans les trois lettres de Mahomet : elles sont écrites en termes d’honnêteté, et comme les pourraient écrire les princes chrétiens les plus débonnaires.

(Q) Une lettre que le pape Pie II écrivit au même sultan….. a donné de l’occupation aux controversistes. ] M. du Plessis Mornai, fut l’agresseur par ces paroles [6] : L’ambition de Pie II ne peut mieux estre reconnue qu’en son épistre 396, où il offre et promet l’empire des Grecs à Mahumed, roy des Turcs, s’il se veut faire chrestien et secourir l’eglise, scavoir son parti ; lui aider à deschirer la chrestienté, comme il faisoit par guerres continuelles ; lui faisant entendre qu’il estoit en sa donation, et qu’ainsi auroient ses predecesseurs donné l’empire d’Allemagne à Charlemagne. Coëffeteau enfla les voiles de son éloquence, ou plutôt de sa colère, en répondant à cet endroit de du Plessis. Est-il possible, dit-il [7], que « l’hérésie éteigne ainsi toute ingénuité pour condamner ce qu’il y a de plus louable ès actions de ceux qu’on veut diffamer ? Il ne se peut rien voir de plus docte ni de plus éloquent ; il ne se peut rien voir de si solide et de si nerveux ; il ne se peut rien voir de si humble et de si chrétien ; il ne se peut rien voir de si pieux et de si religieux que cette épître ; et cependant du Plessis en veut faire un trophée de l’insolence de son auteur. Lui reste-t-il donc une seule étincelle de modestie et un seul rayon de justice ? Voici les lieux d’où il veut recueillir l’ambition de Pie. Si tu veux, dit le pape à Mahomet, étendre ton empire parmi les chrétiens, et rendre ton nom glorieux, tu n’as que faire ni d’or, ni d’argent, ni d’armées, ni de vaisseaux. Une petite chose te peut rendre le plus grand, le plus puissant et le plus célèbre de tous ceux qui vivent aujourd’hui. Tu demandes quelle elle est ? Elle n’est pas difficile à trouver, et il ne ne la faut point chercher bien loin ; elle se rencontre en toutes les parties du monde. C’est un peu d’eau pour te baptiser et te faire embrasser da religion des chrétiens, en croyant à l’Évangile. Si tu fais cela, il n’y aura prince en l’univers qui te surmonte en gloire ou qui t’égale en puissance. Vous t’appellerons empereur des Grecs et de l’Orient,

  1. Spondanus, ad ann. 1453, num. 17, p. m. 30.
  2. Horatius, od. VI, lib. III.
  3. Epitome Biblioth. Gesneri, pag. 533.
  4. Ibid, pag. 560.
  5. Vide Crenii Animadv., part. II, p. 26,
  6. Du Plessis, Mystère d’Iniquité, pag. 541.
  7. Coëffet., Réponse au Mystère d’Iniquité, pag. 1197.