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MAHOMET.

ils ont presque pris mot pour mot quatre ou cinq pages ; mais ce que je ne puis approuver, est que ni l’un ni l’autre ne le nomme en pas un des endroits où il le copie. Au reste, je ne sais si la Zune parle de ces cinquante ans, comme l’assure Jean André ; mais Pocock, qui a été fort exact à décrire tout ce que les mahométans disent des délices du paradis, ne parle ni des cinquante ans de Jean André, de Baudier et de Vigenère, ni des soixante ans de notre auteur ; il dit seulement que ces infidèles assurent qu’il y aura cent divers degrés de plaisirs dans le paradis, dont le moindre sera si grand, qu’afin que les fidèles les puissent goûter sans en être accablés, Dieu leur donnera à chacun la force de cent hommes. Rouat miat ragiol. »

Admirons ici la faiblesse humaine, Mahomet, pratiquant et enseignant la plus excessive impudicité, a néanmoins fait accroire à un grand nombre de gens que Dieu l’avait établi le fondateur de la vraie religion. Sa vie ne réfutait-elle pas fortement cette imposture ? Car selon la remarque de Maimonides, le principal caractère d’un vrai prophète est de mépriser les plaisirs des sens, et surtout celui qu’on nomme vénérien. « Liceat hic adscribere quæ habet Maimonides in Morch, lib. 2, cap. 40, ubi quomodò probandi sint pseudoprophetæ, docet his verbis : Modus autem talem probandi, est ut perfectionem personæ ipsius animadvertas, et in facta ejus inquiras ; et conversationem observes ; signum autem præcipuum quo dignoscatur est, si abdicaverit voluptates corporeas et eas contemptui habuerit, (hic siquidem primus est gradus scientiâ præditorum, multò magis prophetarum) imprimis verò sensum illum qui juxtà Aristotelem opprobrio nobis est, ac turpitudinem rei venereæ ; ideòque hoc indicio detexit Deus omnes falso de afflatu prophetico gloriabundos, ut ita patefieret veritas eam iudagantibus, et ne in errorem inducantur [1]. » Qu’on ne dise point que personne ne s’y trompa, et que ceux qui s’attachèrent à Mahomet, ne le firent que par amour-propre et en connaissant ses impostures. Ce serait une prétention insoutenable. La plupart de ses disciples rejetèrent la nouvelle de sa mort comme un mensonge, qui ne pouvait compatir avec sa mission céleste ; et il fallut, pour les détromper, qu’on leur prouvât par l’Alcoran qu’il devait mourir [2]. Ils s’étaient donc laissé séduire par ses paroles. Or, quand une fois on est prévenu de l’opinion qu’un certain homme est prophète ou un grand serviteur de Dieu, on croit plutôt que les crimes ne sont point crimes quand il les commet, que l’on ne se persuade qu’il fait un crime. C’est là la sotte prévention de plusieurs petits esprits. Sénèque lui-même ne disait-il pas qu’on prouverait plus facilement que l’ivrognerie est louable, que non pas que Caton commît un péché en s’enivrant [3] ? Les sectateurs de Mahomet disaient de même en leur cœur, il vaut mieux croire que l’impudicité n’est pas un vice, puisque notre grand prophète y est sujet, que de croire que puisqu’il y est sujet, il n’est pas un grand prophète. Tous les jours on voit des diminutifs de ce préjugé : un homme s’est-il acquis une fois la réputation de grand zélateur de l’orthodoxie, s’est-il signalé dans les combats contre l’hérésie, offensivement et défensivement, vous trouvez plus de la moitié du monde si prévenue en sa faveur, que vous ne pouvez leur faire avouer qu’il ait tort en faisant des choses qu’ils condamneraient si un autre les faisait. Saint Paul a dit seulement que la femme infidèle serait sanctifiée dans le mari fidèle[4] ; mais s’il eût parlé selon le goût de ces gens-là, il aurait dit que tout ce qui appartient à l’homme fidèle, à l’homme orthodoxe, et tout ce qu’il fait, est sanctifié en lui.

(KK) Il s’éleva plusieurs autres faux prophètes. ] Je me souviens de l’exorde d’un sermon de M. Daillé : il roulait sur cette pensée, qu’aussitôt

  1. Eduardus Pocockius, Notis in Specimen Historiæ Arabum, pag. 181.
  2. Voyez Pocock, ibid., pag. 178, 180.
  3. Catoni ebrietas objecta est : at facilius efficiet quisquis objecerit, hoc crimen honestum, quam turpem Catonem. Seneca, de Tranquillitate Animi, cap. XV. pag. m. 674.
  4. Ire. aux Corinth., chap. VII, vs. 14.