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LASCARIS.

règne de François Ier. ] Paul Jove, n’en ayant rien dit, a été cause que M. Varillas n’en a point parlé non plus. Sa paraphrase de l’Historien italien porte que Lascaris ne sachant que devenir prit parti avec Charles VIII, et que, comme il était homme de cabinet, on lui donna l’ambassade de Venise, dont il s’acquitta dignement sous le règne de ce monarque, et de Louis XII qui lui succéda. Enfin Léon X, étant devenu pape, appela Lascaris à Rome pour être de son conseil [1]. Ce fut, selon M. Varillas, le dernier emploi de Jean Lascaris ; et c’est se tromper en plusieurs manières, car le pape ne le fit point son conseiller, mais directeur d’un collége grec [2], et depuis ce temps-là ce savant homme eut quelque charge à Paris. Je crois que ce fut celle de bibliothécaire du roi, et je me fonde sur une lettre que Jacques Tusan écrivit à Ange Lascaris, fils de Jean, dans laquelle on voit ces paroles [3] : Jam patris tui excellentem in romanâ linguâ, nedum vestrâ, peritiam pluribus hic verbis ne fusiùs persequar, illud certè dicam : Græcæ litteraturæ quantùm usu, quantùm scientiâ præcellat, ex hoc intelligi vel maximè posse, quòd eum ex cunctis vestri generis hominibus de sententiâ doctissimorum delectum princeps noster Franciscus accersendum esse censuerit, ut museo, quod in hâc urbe longè omnium principe multo celeberrimum speramus excitatum iri, propediem, velut alter Apollo præsideat. Voici un passage qui n’est pas exempt de fautes, mais qui ne laissera pas de servir de preuve. Je le tire du Théatre des Antiquités de Paris, composé par Jacques du Breul [4]. Emanuel Chrysoloras eut pour disciple Ange Tifernas, qui l’an 1523 estant à Paris enseigna les lettres grecques à Jean Lascares, et Guillaume Budé doctes personnages, et qui ont mis plusieurs belles œuvres en lumière, comme tesmoigne M. Genebrard en sa Chronologie en ces termes : anno 1523 Chrysoloræ, qui primus litteras græcas Florentiam Cosmo Medicco Florentino duce attulit, discipulus Tifernas in Franciam venit, Budæumque litteras græcas docuit ; déindè Janus Lascaris mortuo Laurentio Mediceo Mœcenate suo. Atque indè litteratura græca, desertâ Italiâ, ad nos migravit. Or ce Lascares et Budee, comme tesmoisne le mesme autheur, ont este les premiers, à la suscitation desquels le roy François Ier. dressa la bibliothéque de Fontainebleau, et depuis institua les professeurs royaux, comme dit le mesme autheur. Lascari et Budæo authoribus, Franc. I bibliothecam Fontenablæam instruxi, indèque anno 1530 linguarum et mathematum professores. Nam cæteri sunt adscriptitii. Il y a bien des choses à critiquer dans ce passage. En 1er. lieu Tifernas s’appelait Grégoire et non pas Ange ; 2°. il mourut au XVe. siècle ; comment donc eût-il pu venir à Paris, l’an 1523 ? Le père du Breul venait de dire que Chrysoloras, qui était mort à Constance, le 15 d’avril 1415, lui avait appris le grec. Cela ne devait-il point faire connaître qu’il n’a point vécu jusques au règne de François Ier. ? En 3e. lieu, il est absurde de prétendre que Jean Lascaris, Grec de nation, ait appris d’un Italien [5] les lettres grecques. 4°. C’est une ignorance crasse que de dire qu’en 1523 lui et Guillaume Budé étaient de jeunes écoliers. Budé avait alors cinquante-six ans, et passait pour le plus docte personnage, et pour le plus grand grec de France. 5°. Le passage de Génebrard, cité par du Breul, signifie que Jean Lascaris vint en France après Tifernas, et après la mort de Laurent de Médicis. Celui qui le cite n’y comprenait rien. Notez que Lascaris retourna en France l’an 1518 [6], et qu’il y était encore l’an 1528 [7]. On convainc par-là d’une grosse faute M. Moréri, qui a dit qu’il mourut peu après que Léon X eut été fait pape.

(D) Sa paresse ne lui permit pas de composer beaucoup de livres. ] On aurait voulu qu’il fit des versions des

  1. Varillas, Anecdotes de Florence, p. 184.
  2. Voyez une lettre de Budé parmi celles d’Érasme. C’est la XXXe. du IIe. livre, pag. 156.
  3. Gesner., in Biblioth., folio 29 verso.
  4. Du Breul, Antiquités de Paris, liv. II, pag. 563, édit. de Paris, 1639, in-4°.
  5. Tifernas était Italien.
  6. Voyez les Lettres d’Érasme, lib. XI, num. 4, pag. 548 ; et num. 5, pag. 549.
  7. Voyez les mêmes Lettres, lib. XX, num. 72, pag.1030.