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LASCARIS.

Anecdotes de Florence, si M. Varillas eût eu connaissance de ce passage latin ? Non, ut cæteri ferè omnes à primâ pueritiâ per delectus Christianis parentibus erepti, sed jam planè vir (Cherseoglis) ita à majorum religione discessit, ut nunquàm ex arcano veræ pictatis oblivisceretur. Is Chersechii reguli in Illyrico, ad montem Nigrum filius, quùm adamata ei sponsa quæ erat è stirpe Serviæ despoti, ad paratas nuptias duceretur, concupivit eam illicò, quòd esset egregiæ venustatis, procaci oculo improbus pater, omnemque pudorem superante libidine, sibi statim impotenter excluso filio nuptias celebravit, frustra reclamantibus propinquis : qui id facinus filio contumeliosum patrique et domui infame detestabantur. Itaque juvenis tantæ injuriæ indignitate commotus, præcipitique actus desperatione, etc. [1]. Je donne à examiner à d’autres si Paul Jove n’a point confondu, avec le voyage qu’il suppose que fit Jean Lascaris en Grèce, sous le pape Léon X, les voyages que Laurent de Médicis lui avait fait faire. Bajazet mourut avant le pontificat de Léon X, et je doute fort que Cherséoglis ait eu beaucoup de crédit sous le successeur de ce sultan, et il est indubitable qu’il ne fut jamais aussi en état de rendre service à Jean Lascaris que sous l’empire de Bajazet.

(B) Louis XII... l’envoya à Venise en qualité d’ambassadeur. ] Je trouve qu’il l’y envoya l’an 1503, et l’an 1505. Voyez Pierre Bembus dans l’Histoire de Venise [2], où il rapporte les sujets de ces ambassades, et le sommaire de la harangue de l’ambassadeur. Le Vianoli [3] assure qu’en 1507 la république ayant su la ligue de Cambrai, congédia Lascaris, ambassadeur de Louis XII. Mais comment eût-elle pu savoir alors une ligue qui ne fut conclue qu’au mois de décembre 1508 ? Voyez la note [4].

Ce que M. de Wicquefort raconte de cette ambassade n’est guère obligeant. « Le pape, dit-il [5], reconnut trop tard la faute qu’il avait faite, en faisant choix d’un ministre impertinent et ridicule. Jean Lascaris, que Louis XII envoya en ambassade à Venise en l’an 1503, ne l’était guère moins. Il était sorti d’une maison qui avait autrefois donné de grands princes à l’empire de Constantinople, et il était fort savant ; il n’avait point de connaissance du tout des affaires du monde. Il avait avec cela une très-petite mine, accompagnée d’une manière de vivre si basse et si sordide, qu’il semblait qu’au lieu de paraître en ambassadeur, et de faire honneur au roi son maître, il affectât d’imiter la fausse modestie de ceux qui, se donnant entièrement à la philosophie contemplative, font profession d’une pauvreté étudiée, et tiennent un peu du cynique. Sa commission était d’autant plus difficile, qu’il avait ordre d’emprunter de l’argent, et de faire une alliance, dans un temps où les inclinations du sénat n’étaient point du tout françaises, parce que les affaires du roi n’étaient pas dans un fort bon état en Italie. Laurens Suarez de Figueroa, ambassadeur de Ferdinand-le-Catholique, qui ne manquait point de profiter du mécontentement de la république, laquelle ne pouvait souffrir que le roi lui envoyât un pédant au lieu d’un ambassadeur, dit en plein sénat : qu’on devait juger de quelle manière le roi de France la traiterait, si après la conquête qu’il prétendait faire du royaume de Naples, il se voyait au-dessus de ses affaires, et qu’il pût tyranniser l’Italie à son aise ; puisque dans ses incommodités et nécessités il méprisait le sénat à un point, que de lui envoyer un philosophe grec, fraîchement sorti du collége » [* 1].

(C) Il retourna en France sous le

  1. * * Leclerc regarde comme suspect ce récit de Wicquefort qui traite, en 1503, de fraîchement sorti du collége un homme qui avait alors près de soixante ans.
  1. Jovius, Historiar. lib. XIII, folio 255. Voyez aussi Mélanchthon, au livre V de la Chronique de Carion, pag. m. 874.
  2. Lib. VI, folio m. 144, verso, et lib. VII, folio 152.
  3. Historia Veneta, parte secondâ, p. 76.
  4. Je crois que par anticipation on appelle ligue de Cambrai les engagemens qui se nouaient avant la conclusion du traité de Cambrai.
  5. Wicquefort, de l’Ambassadeur, liv. I, pag. m. 166.