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HENRI III.

action, on peut assurer que le crime de Jacques Clément fut celui de toute la ligue et celui de la cour de Rome ; car les auteurs, les conseillers, les approbateurs d’une action, sont censés être de la même catégorie. Je le montrerai en quelque autre endroit [1].

(S) Pendant qu’ils laisseront sans réplique les observations de Pierre-Victor Cayet. ] Considérez bien ses paroles [2] : « Les huguenots disent, la mort a emporté ce roy de ce monde en l’autre, mais (circonstance notable) en la chambre mesme où l’on tient avoir esté prins le conseil de ceste furieuse journée de la Sainct Barthelemy, l’an 1572. Ces paroles sont couchées dans l’Adjonction faicte à l’inventaire de l’Histoire de France par Montliard. Le livre du Recueil des cinq Roys, imprimé à Geneve, asseure le mesme en presque semblables termes : et dans le livre de l’Estat de l’Église, faict par Jean Taffin, ministre, sont ces mots : On a remarqué, avec providence de Dieu, que cela advint en la chambre mesme en laquelle, l’an 1572, avoit esté prins le conseil de ceste furieuse journée de Sainct Barthelemy. Voylà des circonstances notables, et des remarques de la providence de Dieu, legerement et, j’userai de ce mot, faulsement publiées. Car, à la Sainct Barthelemy, le lieu où fut blessé le roy, appartenoit à un bourgeois de Paris, nommé Chapelier, et le posseda encor plus de deux ans après, où sa majesté n’avoit jamais entré estant duc d’Anjou, et n’y entra que long-temps après son retour de Pologne. Quand la royne, sa mere, l’acheta ce fut après la mort du feu roy Charles, en intention d’y faire bastir : mais comme elle vid que ce lieu estoit trop petit, elle le bailla, l’an 1577, à la femme du sieur Hierosme de Gondy, lequel fit abbattre le logis, et le changer tout de nouveau, l’ayant embelli de grottes et fontaines, et rendu tel, que depuis il a esté frequenté par les princes et seigneurs, ce qu’il n’estoit auparavant : or celuy qui a compilé le susdit Recueil des cinq Roys, duquel Montliard et Taffin ont tiré ce qu’ils ont mis dans leurs livres (car il avoit prémierement escrit qu’eux), use de ces termes : On dit qu’en ceste mesme chambre avoient esté prins les conseils des massacres, etc. Voilà un ouy dire inventé par l’autheur dudit Recueil : son invention est prise dans les Mémoires et petits Discours, imprimez l’an 79, à Geneve, touchant ce qui estoit advenu à la journée de Sainct Barthelemy, où ils disent que les conseils en furent pris à Sainct-Cloud et aux Tuilleries....... Or, pour trouver quelque couleur à ceste calomnie, l’autheur dudit Recueil, sur ce que le roy a esté tué en la maison de Gondy, en tire ceste conjecture, et coule ce mot de on dit, qu’en ceste mesme chambre, etc. Montliard, qui a escrit depuis luy, passe plus avant, et dit, on tient, etc. Ce n’est plus desja un ouy dire, à son compte il y en a qui le croyent ; mais le ministre Taffin, plus asseuré, et qui en a escrit le dernier, l’asseure, et dit que c’est une providence de Dieu. Quel mensonge ! Aussi M. le procureur-général en ayant fait sa plainte à la cour contre Montliard, ces mots furent rayez de son livre avec beaucoup d’autres, et luy en fut en une grande peine, s’excusant sur l’ouy dire : mais depuis, son livre estant imprimé à Geneve, tout y a esté remis, et passe pour croyance parmy les gens de ce costé-là [3]. » Si les faits que Cayet débite touchant la maison où Henri III fut assassiné sont véritables, il ne faut plus douter que les auteurs protestans qu’il réfute n’aient eu grand tort, et que les mystérieuses circonstances qu’ils ont pris la peine de faire observer, ne soient de pures illusions, et de vaines imaginations d’esprits crédules. Mais s’ils avaient pu prouver que Cayet se trompe, ils seraient louables d’avoir rétabli, dans l’édition de Genève, ce que Montliard avait été obligé de supprimer. Il est sûr que selon l’ordre, et selon le train d’une pro-

  1. Dans l’article Probus. [Bayle n’a pas donné cet article.]
  2. Cayet, Chronologie novenaire, à l’ann. 1589, folio 224 verso.
  3. Idem, ibid., folio 215.