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HENRI III.

je n’en ai vu aucune où les détails soient mieux liés et mieux suivis que dans celle que M. Marcel à insérée au IVe. tome [1] de son Histoire de France. C’est là qu’on peut voir toute la justesse des mesures qui furent prises pour faire réussir ce grand coup : le roi y fait paraître beaucoup de vigilance et beaucoup de fermeté, et une âme qui se possède assez bien pour prendre garde aux moindres choses qui pourraient nuire [2]. Considérez bien l’encouragement qu’il donna au secrétaire d’état, qui devait faire savoir au duc de Guise que le roi le demandait. « Là-dessus sa majesté ayant sceu que le duc de Guise estait au conseil, commanda à M. de Revol, secretaire d’estat : Revol, allez dire à M. de Guise, qu’il vienne parler a moy en mon vieux cabinet. Le sieur de Nambu luy ayant refusé le passage, il revient au cabinet avec un visage effrayé ; c’estoit un grand personnage, mais timide : mon Dieu, dit le roy, Revol, qu’avez-vous, qu’y a-t-il, que vous estes pasle ? vous me gasterez tout, frottez vos joues, frottez vos joues, Revol. Il n’y a point de mal, sire, dit-il, C’est M. de Nambu qui ne m’a pas voulu ouvrir, que vostre majesté ne le luy commande. Le roy le fait de la porte de son cabinet et de le laisser rentrer, et M. de Guise aussi [3]. » Je dirai par occasion une chose que j’ai lue dans le Journal des Savans. Ce qui se passa à Blois, touchant la proposition qui fut faite aux états de ne plus souffrir en France d’autre religion que la catholique... montre assez que Henri III était plus fin que le commun du monde ne s’imagine [4].

(L) Il s’était comporté d’une manière qui l’avait rendu le mépris du pape. ] Voyez la Critique générale du Calvinisme de M. Maimbourg ; vous y trouverez [5] deux exclamations de Sixte V : l’une regarde la témérité qu’il attribuait au duc de Guise, et l’autre la simplicité qu’il attribuait à Henri III. Il s’exprima, là-dessus tout-à-fait cavalièrement. Quelques auteurs [6] content qu’il dit un jour, en considérant la conduite de ce monarque, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour me tirer de la condition de moine, et il fait tout ce qu’il peut pour y tomber.

(M) Les états généraux ne voulurent point consentir à aliéner le domaine. ] Outre ce que j’ai dit là-dessus dans l’article de Bodin [7], je veux rapporter ici un passage de M. de Mézerai [8] : « Pour le point de l’aliénation du domaine... Émar [9] répondit par ordre de la compagnie, à Bellièvre que le roi y avait envoyé, que le droit commun et la loi fondamentale de l’état défendaient absolument cette aliénation ; que le domaine du roi ressemblait au fonds dotal d’une femme, qui ne peut être vendu ni distrait par son mari ; qu’il était encore plus sacré que celui de l’église, parce qu’il ne se pouvait aliéner pour quelque raison que ce fût, même avec solennité ; aussi était-ce chose inouïe que l’on eût jamais eu recours à ce moyen, même dans les plus grandes nécessités de la France, et lorsqu’elle avait été en plus grand danger qu’elle n’était à cette heure ; comme du temps du roi Jean, pour la délivrance duquel il fallut tant donner d’argent, de villes et de provinces ; qu’en un mot c’était un des plus fermes piliers qui soutint la couronne, et sur lequel étaient fondés les dots, douaires et apanages, qu’ainsi il le fallait plutôt fortifier que l’affaiblir, plutôt le relever que l’abattre ; et qu’au reste si le tiers état remontrait si instamment les conséquences de cette aliénation, c’était parce que si on ôtait quelque chose du domaine, il le faudrait remplacer à ses dépens, et que toute la perte en

  1. Pag. 626 et suiv.
  2. À cela n’est point contraire ce que l’auteur de la relation a dit des inquiétudes où était le roi, car elles n’empêchaient pas son application ni sa vigilance.
  3. Marcel, Histoire de France, tom. IV, pag. 631.
  4. Journal des Savans. du 25 de janvier 1666, pag. 83, 84, dans l’extrait des Mémoires du duc de Nevers.
  5. À la IIIe. lettre, num. 2, pag. 38 de la troisième édition
  6. Voyez Naudé, au chap. I des Coups d’état, pag. m. 22.
  7. Remarque (I), tom. III, pag. 514.
  8. Mézerai, Histoire de France, tom. III, pag. 433.
  9. Président de Bordeaux, l’un des députés aux états de Blois, en 1576.