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HENRI II.

sion d’un concile general qu’ils disoient estre necessaire. Au moyen dequoy le roy esmeu d’une grande et juste colere commanda des l’instant mesme à Montgommery de se saisir de quelques uns de la compagnie qui avoyent opiné plus librement qu’il ne vouloit. Lesquels furent sur-le-champ menez prisonniers dans la Bastille. Parquoy disoyent ces nouveaux commentateurs que ce mal estoit advenu au roy par un juste jugement de Dieu pour venger ces emprisonnemens tortionniers. Que les opinions devoyent estre libres, et non sondées par un roy, pour puis apres les ayant ouyes envoyer les conseillers en une prison close. Que Dieu l’avoit chastié par la main de celuy du ministere duquel il s’estoit aydé pour faire ces emprisonnemens. Mesme que tout ainsi que le dixiesme de juin il avoit faict ceste honte à la cour de parlement, aussi le dixiesme de juillet ensuyvant, jour pour jour, il estoit allé de vie à trespas. Ainsi devisoyent les aucuns du peuple selon leurs passions particulieres de ceste mort : ne cognoissans pas toutesfois que les mysteres de Dieu nous sont totalement cachez, et tels que pour l’imbecillité de nos sens nous les rapportons ordinairement plus à nos opinions, qu’à la verité. » Anne du Bourg fut un de ceux que le roi fit enfermer à la Bastille, et celui contre lequel il se mit le plus en colère ; car entre autres propos il dit qu’il le verrai de ses deux yeux brûler [1]. Fra Paolo remarque que la reine-mère fut horriblement irritée de ce que les luthériens publiaient, dans leurs manifestes, que la blessure du roi, son mari, dans l’œil, était une punition de Dieu, pour les menaces qu’il avait faites à Anne du Bourg, en lui disant qu’il le voulait voir brûler [2].

(N) Il ne parla plus depuis sa blessure. ] Presque tous les historiens disent qu’un éclat de la lance de Montgommeri sauta dans l’œil de Henri II, et le blessa mortellement ; mais ce qu’en dit Mézerai me semble plus vraisemblable. Il arriva, dit-il [3], que Montgommeri lui ayant brisé sa lance dans le plastron ne put retenir son bras, tellement qu’il lui donna dans l’œil droit avec le tronçon qui lui restait à la main, avec si grande violence qu’il lui en passa un éclat jusqu’au derrière de la tête. De cette façon Montgommeri pouvait paraître infiniment plus criminel, quoiqu’au fond il n’eût point agi volontairement. L’historien ajoute : On ne sut pas au vrai, même en ce temps-là, si le roi parla ou non depuis qu’il eut reçu le coup, la vérité ayant été déguisée par ceux qui étaient auprès de lui, ou rendue incertaine par les divers bruits qu’en firent courir ceux qui avaient divers intérêts. Il y en a qui nous rapportent de belles remontrances qu’il fit à son fils : quelques autres ajoutent même que, quand on l’emporta hors des lices, il regarda vers la Bastille où étaient les prisonniers du parlement, disant avec un grand soupir qu’il avait peur d’avoir maltraité des hommes innocens, et que le cardinal de Lorraine, le reprenant aussitôt, l’exhorta de rejeter cette pensée qui lui était suggérée par l’esprit tentateur. D’autres maintiennent qu’il perdit la parole et toute connaissance dès le moment qu’il fut frappé [4], ce qui est confirmé par le raisonnement de plusieurs médecins, qui enseignent qu’un homme devient nécessairement muet lorsqu’il a le cerveau blessé, ou ébranlé avec grande violence. Allez vous fier après cela aux relations que l’on fait courir, touchant les dernières paroles des mourans [5].

(O) Il préféra les conseils du connétable aux remontrances du duc de Guise. ] Le connétable, prisonnier

  1. La Place, Comment. de l’État de la Religion et République, folio m. 19.
  2. Fra Paolo, Histoire du concile de Trente, liv. V, pag. 400 de la version d’Amelot, édition de 1686.
  3. Mézerai, Histoire de France, tom. II, pag. 1138.
  4. Mézerai, dans son Abrégé chronol., tom. IV, pag. 721, se fixe à ce sentiment. Le coup fut si grand, dit-il, qu’il le renversa par terre, et lui fit perdre la connaissance et la parole. Il ne les recouvra jamais plus. D’où l’on peut convaincre de faux tous les différens discours, que les uns et les autres lui mirent à la bouche, selon leurs intérêts et leurs passions.
  5. Voyez, tom. VII, pag. 373, la remarque (F) de l’article de François, duc de Guise.