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HENRI II.

(H) Les murmures contre la paix s’étendirent jusque sur elle. ] Brantôme, qui vivait en ce temps-là, nous va dire cavalièrement quelques circonstances de ces murmures. « Ce mariage... coûta bon à la France, car de tout ce qu’on avoit conquis et gardé en Piemont et Savoye l’espace de trente ans, il fallut qu’il se rendist en une heure, tant le roy Henry desiroit la paix et aymoit sa sœur, qu’il ne voulut rien espargner pour la bien colloquer ; mais pourtant la plus grande part de la France et de Piemont en murmuroient, et disoient que c’étoit un peu trop. D’autres le trouvoient fort estrange, et d’autres fort incroyable, jusques à ce qu’ils l’eussent veu, et mesmes les estrangers s’en mocquoient de nous, et ceux qui aimoient plus la France et son bien en pleuroient, lamentoient, et sur tout ceux de Piemont qui ne vouloient tourner à leur premier maistre : si les ducs de Savoye se doivent justement appeller maistres et seigneurs de Piemont, d’autant que les roys de France le sont esté d’autrefois, et sont encore justes seigneurs, titulaires et maistres, legitimement leur appartient. Quant aux soldats et compagnons de guerre qui estoient jà si long temps accoustumez aux garnisons, douceur, et belles nourritures de ce pays, ne faut point demander ce qu’ils en disoient, comment ils en crioient, s’en desesperoient, et ce qu’ils en debagouloient ; les uns, tant Gascons qu’autres, disoient : He Cap de Biou, faut-il que pour une petite piece de chair qui est entre les jambes de cette femme, qu’on rende tant de belles et grandes pieces de terre. D’autres, elle devoit bien garder l’espace de quarante-cinq ans [1] sa virginité et son beau pucelage, pour le perdre pour la ruine de la France. Que si de ce temps ils eussent esté autant déreglez, mutins et seditieux, comme depuis on les a veus en nos guerres civiles, assûrez-vous, qu’un chacun en eust pris la part, et se fussent saisis des places qu’on eust eu bien de la peine de les en chasser [2]. » N’est-il pas étrange que M. le Laboureur, qui avait lu ces paroles tout fraîchement, nous vienne dire néanmoins, qu’il n’y eut que certains politiques qui trouvèrent à redire qu’elle fut si chèrement mariée, et tous les autres furent bien aises qu’elle emportât avec soi une récompense qui fût du prix de son mérite, et qu’on lui donnât en dot les états qu’on avait pris sur son mari [3] ? Voilà le langage d’un faiseur d’éloge : un tel homme, sans procuration, se charge pourtant de faire, au nom du public, toutes les avances nécessaires au panégyrique, et ne se met point en peine si le fait est réfuté par les auteurs les mieux instruits. Mezerai, qui écrivait une histoire et non pas un panégyrique, s’est bien autrement conformé [4] que M. le Laboureur au témoignage de Brantôme.

Je ne saurais lire ces paroles, et mesme les estrangers s’en mocquoient de nous [5], sans m’écrier que c’étoit un bon temps pour les écrivains du Pays-Bas, et de tout autre pays malintentionné pour la France. Quelles insultes n’avoient-ils pas lieu de lui faire ? Quelles fanfares n’avoient-ils pas lieu de publier ? Car je suppose qu’ils étaient, ou peu s’en faut, de l’humeur du temps présent.

(I) Un auteur moderne a voulu justifier la conduite de Henri III. ] Ce moderne est l’antagoniste de Costar. Ce dernier trouvait mauvais [6] qu’on eût critiqué Voiture, pour avoir dit quelque part en se jouant, qu’il estimait plus un bon potage que le panégyrique de Pline, et que la plus longue harangue d’Isocrate. M. de Girac, poursuit-il, croit que M. de Voiture est aussi fou que ce profane qui céda son droit d’aînesse pour une soupe de lentilles, et que ce prince des nôtres qui donna Pignerol pour un bon repas. À quoi ne se porte-t-on point, quand on est

  1. Mézerai, Abrégé chronol., tom. IV, pag. 722, dit qu’elle était dans la trente-septième année de son âge : il a raison, car elle était née le 5 de juin 1523. Voyez ci-dessus la citation (34).
  2. Brantôme, Mémoires des Femmes illustres, pag. m. 325.
  3. Additions à Castelnau, tom. I, p. 751.
  4. Ci-dessus, remarque (C), citation (7).
  5. Brantôme, Mémoires des Femmes illustres, tom. I, pag. 325.
  6. Suite de la Défense de Voiture, p. 172.