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HENRI II.

de Savoie seraient examinés et règles par des commissaires de part et d’autre[1]. Le roi François II et le duc avaient nommé pour cela des députés, l’an 1560. Les députés du roi firent six demandes très-considérables ; mais, au lieu d’obtenir quelque chose, la cour de France abandonna toutes les villes qu’elle s’était réservées. Elle ordonna, par lettres patentes du 8 d’août 1561, qu’on remît au duc Turin, Chivas, Quiers et Ville-Neuve d’Ast, à la réserve des munitions et de l’artillerie, en échange de Pignerol, Savillan et la Pérouse, avec leurs finages. Imbert de la Platière Bourdillon, lieutenant pour le roi delà les monts, forma plusieurs difficultés, envoya de grandes remontrances au conseil pour empêcher l’exécution de cet ordre, et ne voulut obéir qu’après trois jussions, et sur des décharges les plus solennelles qu’il se put imaginer. La duchesse joua bien son rôle dans cette négociation : sa prudence fut louée d’avoir conquis, par son adresse, les places qui restaient à rendre, et que les commissaires du roi ne purent défendre contre sa douce manière de soulever innocemment les cœurs, et de forcer les places les plus imprenables. C’est M. le Laboureur qui dit cela[2]. Brantôme raconte fort au long toute cette affaire : les divers sentimens des ministres, les oppositions formées par Bourdillon, et les manières dont il se laissa fléchir. Il en coûta bien des présens au duc et à la duchesse de Savoie[3]. Il restait encore trois places aux Français dans le Piémont, savoir : Pignerol, Savillan et la Pérouse. La duchesse seconda merveilleusement son mari pour les retirer d’entre leurs mains, lorsque Henri III passa par Turin, en revenant de Pologne. Je me servirai des paroles de M. Varillas. « Le duc et la duchesse de Savoie, qui se proposaient de faire ce que n’avait pu faire l’Espagne lorsqu’elle était la plus heureuse, c’est-à-dire de renvoyer les Français delà des Alpes, mirent en usage un artifice tout nouveau, qui fut celui des divertissemens et des festins qui se succédaient de si près les uns aux autres, qu’à peine restait-il du temps pour dormir. Des relations de bonne main parlent d’une collation superbe qui coûta cent mille écus : le duc et la duchesse en avaient fait la dépense, et ce fut pour se dédommager qu’ils pressèrent Henri III de leur restituer Pignerol, Savillan et la Pérouse[4]. » Henri III leur promit qu’ils auraient satisfaction, et leur tint parole ; car ayant tenu conseil à Lyon sur cette affaire, l’évacuation de ces trois places y fut conclue, nonobstant les fortes raisons de celui qui y commandait. C’était le duc de Nevers[* 1]. « Il eut la liberté de dire tout ce qu’il voulut, et la satisfaction que l’écrit qu’il présenta pour appuyer sa harangue, quoique très-ample, fut lu en présence de Henri III ; mais la restitution des trois places n’en fut pas moins résolue, et sa majesté lui donna de sa propre bouche l’ordre de les évacuer. Il en devait demeurer là, puisque tout le monde lui rendait la justice de croire qu’il avait satisfait à sa conscience et à son honneur ; mais il eut recours à d’autres précautions qui lui attirèrent l’aversion de la cour, et l’empêchèrent longtemps de rentrer dans le conseil d’état. Il s’obstina à solliciter que l’ordre qu’il recevait de la boucle du roi fût encore écrit de la propre main de sa majesté ; que la reine-mère, les princes du sang et les officiers de la couronne le signassent ; qu’il fût enregistré dans les parlemens en suite de l’écrit qu’il avait fait pour s’en dispenser ; et que les principales villes du royaume l’insérassent dans leurs archives. On lui accorda presque tout cela, mais ce ne fut pas sans lui reprocher qu’il affectait de se signaler aux dépens de son maître, et qu’il devait imiter le maréchal de Brissac, qui s’était contenté en cas semblable de redoubler ses très-humbles remontrances, et de demander qu’on lui envoyât un successeur[5]. »

  1. (*) Voyez ses Mémoires, tom. I. jusqu’à la page 68. Rem. crit.
  1. Mezerai, Abrégée chronolog., t. V, p. 41.
  2. Additions à Castelnau, tom. I, pag. 751.
  3. Voyez dans les Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. I, pag. 847 et suivantes, ce que Brantôme dit sur tout cela dans l’Éloge d’Imbert de la Plattière, seigneur de Bourdillon.
  4. Varillas, Histoire de Henri III, liv. I, pag. 74.
  5. Varillas, Hist. de Henri III, liv. I, p. 84.