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FRANÇOIS Ier.

vivat dux Burgundiæ [1]. Ces deux faits mis en parallèle sont faux : le premier absolument et sans nul mélange de vrai, l’autre dans ses principales circonstances ; car lorsque Louis XI fut contraint de suivre à Liége le duc de Bourgogne, il ne l’avait pas été trouver en forme de suppliant, il avait demandé une conférence, parce qu’il avait espéré de le duper. C’est une honte que le recteur d’une illustre académie ait débité dans un programme une fausseté qui serait indigne de la Gazette.

(M) Ce n’est pas la seule fable qu’on ait fait courir par rapport à ce temps-là. ] « Combien de romans n’a-t-on point fait du roi François Ier. ? N’est-on pas venu jusqu’à dire qu’il s’est battu en duel avec l’empereur, et que ce prince passant par la France, le roi, par une générosité sans exemple, lui offrit son royaume ? Que Charles avait un jour occupé le trône des Français, qu’il avait fait condamner un criminel, et lui avait après donné grâce, pour marquer son autorité [2] ?

(N) Il fut auteur... de la coutume que les femmes prirent d’aller à la cour. ] On lira sans doute avec joie ce que je m’en vais citer. Un jour, c’est Brantôme qui parle [3], entretenant un grand prince de par le monde des grandes vertus de François Ier..... il m’en dit tout plein de bien : mais il le blasma fort de deux choses, qui avoient apporté plusieurs maux à la cour, et en la France, non-seulement pour son regne, mais pour celuy des autres roys ses successeurs ; l’une pour avoir introduit en la cour les grandes assemblées, abord et residence ordinaire des dames ; et l’autre pour y avoir appelé, installé et arresté si grande affluence de gens d’eglise. Pour le regard des dames, certes il faut avouer qu’avant luy elle n’y abordoient ny frequentoient que peu, et en petit nombre. Il est vray que la reyne Anne commença à faire sa cour des dames plus grande que des autres precedentes reynes, et sans elle le roy son mary ne s’en fust gueres soucié ; mais ledit roy François venant à son regne, considerant que toute la decoration d’une cour estoit des dames, l’en voulut peupler plus de la coustume ancienne. Brantôme nous apprend de quelles raisons se servait le prince critique. S’il n’y eust eu que ces dames de cour, disait-il [4], qui se fussent débauchées, c’eust esté tout un ; mais elles donnoient tel exemple aux autres de la France, que se façonnant sur leurs habits, leurs grâces, leurs façons, leurs dances et leurs vies, elles se vouloient aussi façonner à aimer et paillarder, voulant dire par-là, à la cour on s’habille ainsi, on danse ainsi, on y paillarde aussi, nous en pouvons faire ainsi. À l’égard des prélats il disait [5] : Que commençans alors à se debaucher et deregler ils donnerent exemple aux autres de la France d’en faire de même, et qu’il eust mieux valu qu’ils eussent esté en leurs dioceses à prescher leur troupeau [6]. Brantôme réfute toutes ces raisons : il soutient qu’avant le règne de François Ier., la corruption n’était pas moindre ni parmi les femmes, ni parmi les gens d’église [7], et qu’on n’avait vu qu’hérésies et brouilleries en France, depuis que les sermons étaient devenus fréquens [8]. Voyez les réflexions de M. Jurieu, sur tout ceci [9].

(O) On a eu grand tort de l’accuser de trop d’indulgence pour les luthériens. ] Vous verrez cette accusation très-fortement réfutée dans ces paroles de Mézerai : « L’infection des erreurs s’augmentant, le roi fit rallumer les feux pour en purger la France. Il en était resté du levain à Meaux, depuis que l’évêque Briconnet y avait retiré le Fèvre et les Roussels. Il y en fut pris plus de soixante qu’on amena à Paris, dont quatorze furent brûlés, les autres

  1. Voyez le livre intitulé : Scriptorum publicè propositorum à professoribus in Academiâ Witebergensi, ab anno 1540, ad annum 1553. Tomus primus, folio 96 verso
  2. Chappuzeau, Dessein d’un nouveau Dictionnaire historique, pag. 11.
  3. Brantôme, Mémoires, tom. I, pag. 277.
  4. La même, pag. 280.
  5. Brantôme, Mémoires, tom. I, pag. 282.
  6. Là même, pag. 285.
  7. Je n’ai point ouï dire ni lu qu’auparavant ils fussent plus gens de bien et mieux vivans ; car en leurs évêchés et abbayes ils étaient autant débauchés que gens d’armes. Brantôme, Mémoires, tom. I, pag. 282.
  8. Là même, pag. 285.
  9. Jurieu, Apologie pour les Réformateurs, chap. VII, pag. 121 et suiv.