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FRANÇOIS Ier.

liance, qui subsiste encore, et qui semble avoir été resserrée par des liens indissolubles sous Louis XIV. Je sais bien que vous n’en rougirez pas ; car s’il n’y eut pour lors que le chancelier du Prat, qui fut assez religieux pour le désapprouver, il est à croire qu’à présent que votre cour s’est élevée au-dessus de toutes les lois divines et humaines, il n’y a plus de sacrilége ni d’impiété qui soient capables de lui inspirer de l’horreur. Permettez-moi seulement de prier ici le lecteur de me pardonner, si j’expose à ses yeux un objet qu’il ne pourra envisager sans frémir, et qu’une nuit éternelle devrait avoir dérobé pour jamais à la connaissance de tous les chrétiens. La voici : Per Deum magnum et altum, misericordem et benignum, formatorem cœli et terræ, et omnium quæ in eis sunt : et per sancta hæc Evangelia : per sanctum Baptisma, per sanctum Joannem Baptistam, et per fidem christianorum, Promitto et Juro, quòd omnia quæ novero, aperta erunt Altissimo Domino sultano Solimano, cujus regnum Deus fortificet. Ero amicus suorum unicus, et inimicus inimicorum. Ero redemptor captivorum Turcarum ex vinculis hostium ejus : nihil in meâ parte fraudulentum erit. Quod si hoc neglexerim, ero apostata, et mandatorum sancti Evangelii christianæque fidei prævaricator ; Dicam Evangelium falsum esse ; Negabo Christum vivere, et matrem ejus Virginem fuisse ; super fontem Baptismatis porcum interficiam, et altaris præsbiteros maledicam ; super altare fornicabor cum luxuriâ ; et sanctorum patrum maledictiones in me recipiam. Ita me Deus respiciat ex alto. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’exagérer ici sur l’énormité de ce serment.

Je trouve deux choses à redire dans le procédé de cet écrivain ; l’une est qu’il ne cite personne ; l’autre est qu’il n’a pas traduit en langue vulgaire la formule qu’il rapporte. Quand il n’a été question que de dire en général que François Ier. avait fait une alliance avec la Porte, notre anonyme [1] n’a pas oublié de citer les Mémoires de Ribier. D’où vient donc que s’agissant d’une circonstance beaucoup plus atroce, il n’a cité aucun auteur ? Il aurait fallu citer, pour bien faire, ou un écrivain français, ou un écrivain tout-à-fait neutre entre la maison d’Autriche et la France ; mais, au pis aller, il aurait fallu nous dire qu’un tel auteur espagnol, ou belge, ou allemand, a inséré ce serment dans son ouvrage, et a indiqué les voies par où l’on avait découvert ce beau mystère. Notre anonyme, n’ayant rien fait de semblable, donne à connaître qu’il n’a osé déclarer d’où il a tiré la formule, et qu’il a bien vu qu’en le déclarant il décréditerait toute son autorité. Il semble aussi avoir usé d’artifice en ne donnant point une traduction française de la formule : il a craint peut-être de faire sentir la supposition à trop de gens. Quoi qu’il en soit, voici ce que signifie le latin qu’il a publié. « Par le Dieu grand et haut, miséricordieux et bénin, auteur du ciel et de la terre, et de toutes les choses qui y sont, et par ces saints Évangiles, par le saint baptême, par saint Jean Baptiste, et par la foi des chrétiens, je promets et jure que tout ce que je saurai sera manifesté au Très-Haut Seigneur sultan Soliman, dont Dieu veuille fortifier le règne. Je serai l’ami unique des siens, et l’ennemi de ses ennemis. Je rachèterai les prisonniers turcs des liens de ses ennemis. Il n’y aura aucune fraude de mon côté. Que si je néglige ces choses, je serai un apostat, et un prévaricateur des préceptes du saint Évangile et de la foi chrétienne ; je dirai que l’Évangile est faux, je nierai que Jésus-Christ vive, et que sa mère ait été vierge ; je tuerai un pourceau sur les fonts du baptême, et je maudirai les prêtres de l’autel, je paillarderai sur l’autel avec la luxure, et je recevrai sur moi les malédictions des saints pères. Ainsi Dieu me regarde d’en haut. » Je ne sais si aucune personne de bon sens, et versée dans la connaissance des choses, serait capable de s’imaginer que cette formule ait jamais été dressée entre les ministres de France et ceux de la Porte [2]. Tout y choque la vraisemblance, rien n’y est digne ni de la gra-

  1. Là même.
  2. Il semble qu’on ait voulu exiger de Louis IX un tel serment. Voyez Paul Æmile, liv. VII, folio 271 verso.