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FRANÇOIS Ier.

struction, qu’on attribuait à Frégose, contenait tous les moyens que la politique pouvait inventer, pour exciter le sénat de Venise à se détacher des intérêts de l’empereur. On y proposait le partage du duché de Milan entre les Français et les Vénitiens, et l’on ne parlait en aucune manière de conserver à l’empereur la souveraineté de cet état ; au contraire on disposait des villes et de leurs banlieues comme devant être incorporées au domaine de la république et à la monarchie française, qui ne relevaient de personne. L’instruction, imputée à Rincon, était encore pire, en ce qu’elle ajoutait l’impiété à la malice. On y proposait à Soliman de convenir avec la France, pour attaquer en même temps la maison d’Autriche par deux endroits ; et pour lui rendre cette correspondance plus nécessaire, on l’avertissait en secret que la Hongrie, qu’il venait de conquérir, lui échapperait sans doute l’été suivant, s’il donnait le loisir à l’empereur de tirer ses forces de Sicile, de Naples, de Milan et des Pays-Bas, et de les joindre à l’armée formidable que la diète de Ratisbonne ne manquerait pas de lui accorder ; au lieu que si sa hautesse voulait s’engager à marcher en personne au printemps avec trois cent mille hommes, pour entrer dans l’Allemagne, le roi se jetterait dans le duché de Milan avec cinquante-mille hommes, et tiendrait occupées par cette diversion les forces de l’empereur, durant que sa hautesse, prenant au dépourvu les Allemands, et les trouvant divisés sur la religion, en aurait aussi bon marché qu’elle avait eu des Hongrois la précédente campagne. L’artifice des Impériaux était si grossier, qu’il ne fallait qu’un peu de lumière pour le découvrir, parce que non-seulement ils n’offraient point de produire les originaux ; mais encore ils donnaient lieu de les soupçonner d’avoir commis le meurtre, en avouant dans une conjoncture si délicate d’en avoir profité. Cependant il fit sur la diète de Ratisbonne toute l’impression qu’on s’en était promise ; et François Ier. y passa pour un prince prêt de renoncer à sa religion et à son honneur, pourvu qu’on l’aidât à démembrer de l’empire le duché de Milan. Son ambassadeur Olivier fut écouté avec une prévention qui fit prendre à contre-sens toutes les paroles sorties de sa bouche, et ce ministre eut le déplaisir de s’en retourner sans rien obtenir, après avoir vu accorder à l’empereur près de quatre-vingt mille hommes, pour être employés selon qu’il le jugerait à propos [1]. »

Je renvoie à M. de Wicquefort [2] tous ceux qui voudront apprendre à juger bien sainement de cette conduite ; mais je ne sais à qui renvoyer ceux qui auraient des dispositions à gémir, en considérant que des calomnies si diaboliques et si grossières ont été si avantageuses à leurs auteurs. C’est un grand sujet de scandale, il faut l’avouer ; mais ainsi va le monde : il faut adorer ces grands et profonds mystères de la providence, sans en murmurer. Finissons par cette petite réflexion : notre siècle ne nous fournit point d’exemple des impostures que M. Varillas rapporte ; car parmi tant de libelles dont les auteurs anonymes supposent tout ce qu’il leur plaît, on ne voit pas de fausses suppositions revêtues de l’autorité, comme étaient celles que la cour de Charles-Quint savait fabriquer.

(I) Il ne se peut rien voir de plus affreux...... que le serment qu’on supposa que François Ier. avait fait au grand-seigneur. ] Tout le monde se souvient encore de la harangue que le marquis de Rebénac fit au pape, l’an 1692, pour représenter le mal que pouvait causer au catholicisme l’alliance de l’empereur et du roi d’Espagne avec les princes protestans. L’anonyme, qui publia une réponse à cette harangue, n’oublia point d’objecter que Francois Ier. fut ligué avec les Turcs contre Charles-Quint. L’on ne sera peut-être pas fâché, ajoute-t-il [3], de voir ici la formule du serment que ce prince fit au sultan Soliman, pour affermir cette infâme al-

  1. Varillas, Histoire de François Ier., pag. 409 et suiv.
  2. Tome IV, pag. 169, remarque (G) de l’article de Brun (Antoine le).
  3. Réponse à un discours tenu à sa Sainteté par M. de Rebénac, pag. 18, 19.