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FRANÇOIS Ier.

faire, et luy dit en se courrouçant : Conment Paque Dieu ! (car tel estoit son jurement ) que voulez vous faire ? ne voyez vous pas que cette femme qui est fine et cauteleuse, vous veut attirer à elle, afin que vous l’engrossiez ? et si elle vient à avoir un fils, vous voilà encore simple comte d’Angoulesme, et jamais roy de France, comme vous esperez : le roy son mary est vieux, et à present ne lui peut plus faire d’enfans, vous l’irez toucher, et vous vous approcherez si bien d’elle, vous, qui estes jeune et chaud, elle jeune et chaude, Paque Dieu, elle prendra comme à la glue, et elle vous fera un enfant, et vous voilà bien ; après vous pourrez bien dire adieu ma part du royaume de France : parquoy songez y. Cette reyne vouloit bien pratiquer et esprouver le proverbe et refrain espagnol, qui dit, que nunca muger aguda murio sin herederos ; jamais femme habile ne mourut sans héritiers : c’est-à-dire, que si son mary ne luy en fait, elle s’aide d’un second pour luy en faire. M. d’Angoulesme y songea de fait, et protesta d’y estre sage et s’en desporter ; mais tenté encore et retenté des caresses, et mignardises de cette belle Angloise, il s’y précipita plus que jamais. Que c’est que de l’ardeur de l’amour ! et d’un tel petit morceau de chair, pour lequel on languit, et on quitte et les royaumes et les empires, et les perd-on ! comme les histoires en sont pleines. Enfin M. de Grignaux, voyant que ce jeune homme s’en alloit perdre, et continuoit ses amours, le dit à madame d’Angoulesme sa mere, qui l’en reprima et tança, si bien qu’il n’y retourna plus. » Comparez ces trois relations, vous y trouverez quelques différences ; mais voici le principal point en quoi Brantôme diffère de Mézerai et de Varillas. Il dit que la jeune reine, se voyant veuve, tâcha de supposer un enfant afin d’exclure François Ier. Les deux autres historiens la déchargent de ce crime. Après la mort de Louis XII, on crut que Marie d’Angleterre était grosse, mais on fut incontinent assuré du contraire par le rapport qu’elle en fit elle-même. Voilà les paroles de Mézerai [1]. Voici celles de Varillas [2] : La reine fut observée avec la même exactitude qu’auparavant, tant qu’il y eut lieu de douter si elle était grosse. Mais après qu’elle eut déclaré qu’elle ne l’était point, et que l’on eut des preuves suffisantes pour juger qu’elle disait vrai, le comte d’Angoulême devenu roi, etc. Brantôme va bien tenir un autre langage [3]. « Ce dit-on pourtant, que ladite reyne fit bien ce qu’elle put, pour vivre et regner reyne mère peu avant et après la mort du roy son mary : mais il luy mourut trop tost, car elle n’eut pas grand temps pour faire cette besogne ; et nonobstant faisait courir le bruit après la mort du roy tous les jours qu’elle estoit grosse, si bien que ne l’estant point dans le corps, on dit qu’elle s’enfloit parle dehors avec des linges peu à peu, et que venant le terme, elle avoit un enfant supposé, que devoit avoir une autre femme grosse, et le produire dans le tems de l’accouchement. Mais madame la regente, qui estoit une Savoyenne, qui scavoit que c’est de faire des enfans, et qui voyoit qu’il y alloit trop de bon pour elle et pour son fils, la fit bien esclairer, et visiter par medecins et sages-femmes, et par la veue et descouverte de ses linges et drapeaux, qu’elle fut descouverte, et faillie en son dessein et point reine mère, mais renvoyée en son pays. » Ceci réfute invinciblement ceux qui disent en faveur du roi Jacques [4], qu’il ne peut point monter dans l’esprit d’une personne qui est au milieu d’une grosse cour, et toujours entourée d’une infinité de domestiques, de supposer un enfant. Voilà Brantôme, qui savait son monde autant qu’un autre, et qui connaissait merveilleusement la cour ; le voilà, dis-je, qui nous débite un pareil dessein, comme formé actuellement à la cour de France. C’est une preuve qu’il y a des gens d’esprit qui peuvent s’imaginer qu’il est possible d’en venir à bout.

  1. Histoire de France, tom. II, pag. 894.
  2. Histoire de François Ier., livre. I, pag. 20.
  3. Brantôme, Dames galantes, tom. II, pag. 118, 119.
  4. Jacques II, roi détrôné d’Angleterre.