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CHALVET.

1573. Comme il avait l’âme tranquille et innocente, il se retira en sa maison en Auvergne durant les premières et dernières fureurs des guerres civiles, pour ne voir les désordres qu’il prévoyait devoir arriver dans Toulouse. Ce fut dans cette retraite qu’il se mit à lire et à traduire Sénèque (A), pour se consoler des misères publiques, et pour employer utilement son loisir. Sans compter ses talens corporels, il eut entre plusieurs bonnes qualités une grande fidélité pour son prince (B). C’est ce qui le fit estimer très-particulièrement du roi Henri IV, qui en 1603 le fit conseiller en ses conseils d’état et privé. L’année suivante, il résigna sa dignité de président à François Chalvet sieur de Fenouillet, l’un de ses fils, et se retira chez soi pour ne penser plus qu’à prier Dieu, et à couler doucement le reste de ses jours parmi le repos et les livres. Il vécut après cette heureuse retraite deux années, avec tant de satisfaction qu’il disait souvent à ses parens, que tout le long du reste de sa vie passée il avait aucunement vécu (C).... Il mourut chrétiennement à Toulouse, le 20 de juin 1607, âgé de soixante-dix-neuf ans [a]. Plusieurs auteurs lui ont donné des éloges (D).

  1. Tiré du Sommaire de sa Vie, au-devant de sa traduction de Sénèque.

(A) Il se mit à lire et à traduire Sénèque. ] Il dédia cette traduction à Henri IV, l’an 1603. Elle fut réimprimée in-folio, à Paris, chez Guillaume Loyson, l’an 1624, et chez Jean Richer, l’an 1634. « M. de Sainte-Marthe dit qu’il a fait éclater son industrie, sa fidélité, et son application, dans sa traduction de Sénèque [* 1]. M. Huët témoigne pourtant qu’il ne s’est pas beaucoup soucié de s’assujettir à son auteur, et de le rendre mot pour mot ; et qu’au lieu qu’il n’y a rien de plus sec et de plus concis que Sénèque ; on ne trouve presque rien de plus étendu et de plus ample que ’cette version [* 2]. » C’est M. Ballet qui s’exprime ainsi [1] [* 3].

(B) Sans compter ses talens corporels, il eut entre plusieurs bonnes qualités une grande fidélité pour son prince. ] « Durant les études de sa jeunesse, il relâchait souvent son esprit par les plus honnêtes exercices du corps, auxquels il s’était instruit en Italie : étant fort bon homme de cheval, beau danseur, et le meilleur joueur de paume de son temps. Il tempérait aussi l’austérité de la doctrine des lois par la douceur de la poésie latine et française, ès quelles il n’était point des derniers, comme il paraîtra par ses vers, si ses héritiers ne les envient point au public [2]............. Il eut force amis : aussi les savait-il bien cultiver ; mais surtout il eut une singulière et parfaite amitié entre M. du Faur de Saint-Jory premier président de Toulouse, et lui, tant pour l’amour des lettres, que pour leur prochaine affinité. Il avait la taille haute et carrée, l’œil riant, le poil blond, le visage doux et vénérable, le maintien grave, modeste, et plein de majesté ; le propos et la conversation des plus agréables du monde [3]. Aucun presque ne l’abordait, qu’il n’en restât comme charmé ; car il était d’un naturel affable, courtois, bienfaisant, franc, sans hypocrisie, sans ambition, sans avarice, s’employant beaucoup plus volontiers

  1. (*) Sammarth, Elogior. lib. V, pag. 150.
  2. (*) Huetius, de claris Interpret., lib. II, pag. 185.
  3. * Joly reproche à Baillet d’avoir rendu le jugement de Huet sur Chalvet plus sévère qu’il n’est, et à Bayle de n’avoir pas consulté le texte de Huet.
  1. Baillet, Jugement des Savans, tom. IV, pag. 535, 536.
  2. Sommaire de la Vie de Matthieu de Chalvet, au-devant de son Sénèque.
  3. Voyez sur tout ceci les vers latins de Critton, professeur royal, au-devant de sa version de Sénèque.