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CAUSSIN.

où l’on assure que la reine-mère le fit sortir de Paris, et le relégua en Bretagne, pour complaire au cardinal Mazarin à qui il avait déplu ; et que la raison de cette disgrâce vint du livre de Regno et Domo Dei, qu’il avait publié l’an 1650, et dans lequel il avait dit de très-bonnes choses sur les qualités que doivent avoir les princes.

(A) On le trouva digne d’être mis auprès du roi comme directeur de conscience. Il ne s’acquitta point de cette charge au gré du premier ministre. ] La disgrâce du père Caussin a été de ces sortes d’événemens sur lesquels on pense beaucoup et on parle peu, et dont la cause n’est jamais clairement connue. Néanmoins, il en est venu quelque chose à la connaissance du public. On prétend que ce jésuite, peu de temps avant sa mort, donna à un de ses amis l’original de quelques lettres qu’il avait écrites de sa main au général de son ordre, et au père Seguiran, et au prince de Condé ; et le public a pu voir par quelques fragmens de ces lettres [1], que le père Caussin s’attira cette disgrâce, pour n’avoir pas voulu révéler certaines choses qu’il apprenait de Louis XIII au confessional, ni consulter même ses supérieurs à l’égard de la direction de ce prince, lorsque pour savoir leurs conseils il aurait fallu donner quelque atteinte au secret de la confession. Les mêmes fragmens nous font entrevoir qu’il désapprouvait la conduite que Louis XIII avait tenue envers la reine sa mère. Or, c’était le moyen le plus propre d’irriter le cardinal. M de la Barde a observé que cette éminence fit chasser le père Caussin, à cause des scrupules qu’il jetait dans l’âme du prince, sur les duretés que l’on exerçait envers Marie de Médicis. Hic posteâ Ludovici XIII regis confessarius fuit, qui quoniam ei scrupulum injecerat, de Mariâ reginâ matre haud satis piè habitâ, atque aulâ, et regni finibus abscedere coactâ, aulâ et ipse Richelii operâ, cui cum Mariâ lites intercessêre, facessere pridem jussus fuerat [2]. L’auteur de l’éloge du père Caussin a raison de dire qu’on doit admirer un homme qui aima mieux s’attirer la haine d’un tel cardinal, en suivant les instincts de la conscience, que complaire à ce cardinal en s’écartant du droit chemin. « Il faut dire à l’honneur de ce généreux père, qu’il s’est tellement comporté dans la cour, qu’il y a laissé de quoi admirer, et l’a obligée d’avouer avec étonnement, que son esprit était d’une magnanimité toute extraordinaire, puisqu’ayant en tête une puissance capable de l’accabler de biens ou de maux en un instant, il n’en rechercha la faveur, ni pour lui ni pour les siens, et en craignit si peu la disgrâce, aimant mieux souffrir tout en sa personne, que de manquer au devoir d’un fidèle confesseur. C’est de vrai une parole avantageuse et bien hardie, avancée par saint Augustin en faveur de son cher Alipius [* 1], mais qui convient aussi bien au généreux père Caussin, et qui fait seule plus glorieusement son éloge qu’une centaine d’autres [3]. » L’auteur de cet éloge ne savait pas que les lettres du père Caussin touchant sa disgrâce sont entre les mains des jansénistes [4]. Il les croit perdues, car voici ce qu’il dit : « Je sais bien que ce fut un grand problème que cette affaire, et que quand elle se passa elle fut fort diversement interprétée. Mais la suite du temps a décidé le différent des opinions partagées, et la vérité s’étant fait jour au travers des nuages a justifié la sincérité d’une action si héroïque et si glorieuse. Il en avait écrit lui-même l’histoire dans une excellente lettre qui a été mal-

  1. (*) Mirantibus omnibus inusitatam animam, quæ hominem tantum innumerabilibus præstandi, nocendique artibus celebratum, vel amicum non optaret, vel non formidaret inimicum. S. Aug., Conf., lib. VI, cap. X.
  1. Voyez les Entretiens d’Eudoxe et d’Euchariste sur l’Histoire de l’Arianisme et sur l’Histoire des Iconoclastes du père Maimbourg, réimprimés en Hollande l’an 1683. Ils furent brûlés à Paris, par la main du bourreau, l’an 1674.
  2. Labardæus, de Rebus gallicis, lib. IX, sub finem.
  3. Éloge du père Caussin, à la tête de la Cour Sainte.
  4. Cela paraît par les Entretiens d’Eudoxe et d’Euchariste, cités ci-dessus.