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BUDÉ

quand le feu de la colère fut passé, qu’il avait eu trop d’emportement ; et c’est ce qui fit qu’il ne voulut plus prendre intérêt aux attaques qui lui furent faites. Il laissa dire tout ce qu’on voulut : il souffrit tranquillement qu’Agricola se donnât telle portion que bon lui semblait de cette gloire[1].

Lorsqu’il fit son livre de l’Institution du prince, il n’avait reçu encore que des applaudissemens sur son ouvrage de Asse. Il s‘en glorifia, mais sans sortir des limites de la modestie. Comme il s’exprima d’une manière qui peut servir de patron à plusieurs autres grands personnages, je ne ferai point difficulté de rapporter ses propres paroles, quoique son style soit rude. A vostre tresdesiré et tresheureux advenement à la tresnoble coronne de France (il s’adresse à François Ier.), qui fut le jour des Calendes de janvier.... je parachevay et mis en avant et évidence, le livre des poids et mesures, nombres, monnoyes, et toute la manière de compter des anciens, tant Grecs, que Latins, auquel j’ai monstré et estimé les richesses des grands royaulmes, principaultés, dominations, et empires, dont les histoires font mention. Et le tout reduict à la monnoye de présent. Et en ce faisant, ay esclarcy et interprété grand nombre de lieux et passages, sans rien obmettre à mon pouvoir et sçavoir tant ès histoires, que ès aultres autheurs Grecs et Latins. Lesquelz au paravant estoient mal entendus, combien que plusieurs gens sçavants s’en fussent mis en effect : et pense qu’il me sera permis d’en dire ce petit mot, sans aulcune arrogance, puisque aulcuns plus sçavants que moi, estrangers, et aultres le confessent, ainsy que aulcuns de leurs livres le tesmoignent, qui par eux ont esté depuis publiés par impression. Et en cela seulement je me vouldroye maintenir avoir mieux faict, ou par adventure mieulx remonstré en cest endroict, que les aultres. Car j’ay esté tout seul opinant de ceste matière contre touts ceulx, qui paravant moy ont escript, et mesmes depuis cent ans ; ou au moins tout aultrement qu’ilz n’ont faict. Qui a esté la cause et le moyen du grand labeur, et du temps de quinze moys que j’ai occupé à entendre et escripre ceste matière, et la mener jusques à résolution finale, et conclusion du livre [2] ...... Nul ne s’est encore depuis apparu, qui en ce m’ayt ouvertement contredict. Mais y en a (comme dict est) qui l’ont expressément approué : combien que au reste des choses concernentes le faict des bonnes lettres, je me répute moindre que les aultres, ainsy que la raison le veult, et ma congnoissance le juge : Et mesmement que ceulx mesmes, contre lesquelz j’ay esté d’opinion contraire en ceste matière. Car je confesse avoir beaucoup apprins d’eulx en aultres choses, comme de gens de souveraine science et industrie. Dont la plus part sont allés de vie à trespas. Mais un homme moyen en intelligence de sçavoir, et moindre que médiocre, comme je suis, peult bien surmonter un grand et excellent homme en une intention, en laquelle il est fort addonné, jaçoit ce que en aultres choses il ne soit égal à luy[3].

(H) Sa réputation...... fut une puissante protection aux belles-lettres, que l’on s’efforçait d’étouffer........, comme la mère et la nourrice des opinions qui ne plaisaient pas à la cour de Rome. ] Il vaut mieux, et pour cause, que j’explique cela par les paroles de Louis le Roy, que par les miennes. Cùm in maximis, dit-il[4], opiniorum procellis et turbulentissimis tempestatibus ingens græcæ linguæ conflata esset invidia, quòd harum stirps, et semen malorum omnium videretur, cùm odii faces undique ab improbis præferrentur, cùm in perturbatione veteris disciplinæ spem haberent inimici ad elegantium litterarum non dignitatem modo extinguendam [5] sed etiam gloriam per principes viros infringendam, cùm in his asperitatibus rerum eruditi plerique de religione suspecti haberentur, nec satis essent inter imperitorum

  1. Lud. Regius, in Vitâ Budæi, pag. 64.
  2. Budé, de l’Institution du prince, chap. XLV, pag. 186.
  3. Là même, pag. 187.
  4. Lud. Regius, in Vitâ Budæi, pag. 83.
  5. Conférez avec ceci la Lettre d’Érasme rapportée ci-dessus dans la remarque (L) de l’article de (Catherine de) Bore.