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AUTRICHE.

C’était une autre personne plus illustre (qui était la mère de Jean d’Autriche), et que notre sainte[1] avait même connue, comme remarque l’historien de sa vie, mais qui, pour de grandes considérations, n’a point été divulguée. Joignons à tout ceci un passage de M. Varillas. Le secret de la naissance de Jean d’Autriche, dit-il [2], n’a jamais été tout-à-fait découvert ; et, soit que la qualité trop élevée de sa véritable mère exigeât toutes les précautions qui furent apportées, ou que l’on eût eu plus de soin d’éviter le scandale que le péché, il est certain que Charles ne découvrit qu’au seul Quichada quel était Jean d’Autriche, et qu’il lui ordonna de le faire passer pour son fils, jusqu’à ce que Sa Majesté Impériale apprît à Philippe II, en lui résignant ses états, qu’il avait un frère naturel. Cette retenue de M. Varillas est plus louable que la liberté que l’on s’est donnée dans la seconde édition du Ménagiana, de dire tout net et tout franc que don Jean d’Autriche est né de la propre sœur de son père. C’est à l’occasion d’une très-excellente parole de Charles-Quint. On prétend qu’il dit, en déchirant un injuste privilége qu’il avait signé : J’aime mieux gâter ma signature que ma conscience. Sur quoi l’on a fait cette glose dans la seconde édition du Ménagiana, pag. 422. Voilà une conscience bien délicate, pour un homme qui a tant fourbé pendant toute sa vie, et qui, si l’on en croit la médisance, ne se faisait pas scrupule de coucher avec sa propre sœur, pendant que Barbe Blomberg servait de couverture à ce commerce infâme, et se disait la mère de don Juan d Autriche.

(B) Il fut transporté en Espagne avant l’âge d’un an. ] Brantôme fait un autre conte, que je rapporterai dans les remarques de l’article Blomberg, et qui ne doit pas être cru au préjudice du père Strada.

(C) Charles-Quint découvrit à Philippe II que don Juan était son fils, et lui recommanda de le reconnaître pour son frère...... ce qu’il n’exécuta.... qu’au bout de deux ans. ] L’application au principal est cause qu’un historien ne s’aperçoit pas toujours de ses erreurs de calcul. Voici Strada qui assure que don Juan naquit le 24 de février 1545 ; que son père mourut le 21 de septembre 1558 ; que Philippe reconnut don Juan deux ans après la mort de son père ; qu’il le fit élever avec don Carlos, son fils, et que ces deux princes n’avaient pas encore atteint leur quinzième année, annum quartum decimum nondùm supergressi. Si Strada avait bien compté, il aurait trouvé plus de quinze ans accomplis. On ne peut pas dire que l’année 1547 est celle de la naissance. J’avoue que M. Moréri l’assure ; mais ce ne peut pas être l’opinion de Strada, puisqu’en mettant la mort de don Juan au 1er. d’octobre 1578, il lui donne trente-trois ans de vie. Il n’y a donc point faute d’impression au chiffre 1545. L’auteur de la Dissertation sur l’hémine [3] met la naissance de ce bâtard au 14 février 1545, et la mort environ le 1er. octobre 1578, à l’armée près Namur ; et il censure la Généalogie de la maison d’Autriche, qui le fait mourir à Bruges âgé de vingt-cinq ans. Il censure aussi le père Strada d’avoir mis la mort de don Juan au mois de décembre ; mais on lit en propres termes dans Strada, Kalendis octobris [4]. M. Varillas n’est point croyable, quand il dit que Philippe II laissa couler onze ans sans exécuter les ordres de son père, et que Jean d’Autriche avait déjà vingt ans lorsque Sa Majesté Catholique s’avisa de le reconnaître pour frère[5]. Il aurait eu vingt-quatre ans, selon ce calcul. Souvenons-nous qu’il fut envoyé généralissime au royaume de Grenade, l’an 1569[6]. Il faudrait, selon M. Varillas, qu’on eût commencé par cette importante charge à le reconnaître pour le fils naturel de Charles-Quint. Ce serait bien mal connaître Philippe II, que de lui attribuer une conduite si précipitée.

(D) Il révéla le premier les machinations de don Carlos : il y avait très-peu d’amitié entre ces deux jeunes

  1. C’est-à-dire, Catherine de Cordonne. Son Histoire est dans l’Histoire générale des Carmes déchaussés, Ire. part., liv. V. Voyez la Dissertation sur l’hémine, pag. 182.
  2. Varillas, Histoire de François Ier., liv. XIII, pag. 589.
  3. Pag. 187.
  4. Strada, decad. I, lib. X, pag. 611.
  5. Varillas, Histoire de François Ier., liv. XIII, pag. 389.
  6. Moréri dit 1570.