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AUTRICHE.

des Païs-Bas de pourvoir à leur deffense contre le seigneur don Jean d’Austrice. C’est un manifeste très-curieux. Il fut imprimé en Anvers, par Guillaume Sylvius, imprimeur du roi, l’an 1577. Voyez aussi le manifeste que le prince Jean Casimir, comte Palatin du Rhin, publia l’année suivante, pour justifier son expédition. Il le fit imprimer à Neustadt, en allemand et en latin. Il y a eu au XVIIe. siècle un autre don Juan d’Autriche (I), qui a paru dans le monde avec assez d’éclat. Il était fils de Philippe IV, et d’une comédienne (K).

(A) Barbe Blomberg voulut bien passer pour sa mère. ] Famien Strada raconte que le cardinal de la Cueva lui avait révélé ce secret[1]. Ce cardinal l’avait appris de l’infante Claire-Eugénie, à qui Philippe II, qui n’avait rien de caché pour elle, en avait fait confidence. Philippe II témoigna toujours devant le monde que Barbe Blomberg était la mère de don Juan : Eodemque loco habitam à Philippo rege scenæ pariter inserviente[2]. Le sacrifice que cette dame voulut bien faire de sa propre réputation à celle d’une grande princesse n’est pas à beaucoup près si considérable que l’on s’imagine : on se fait une honte de passer pour la maîtresse d’un particulier ; mais combien y a-t-il de dames qui se glorifient d’être les maîtresses des rois et des empereurs ! J’ai dit que ce sacrifice se faisait en faveur d’une grande princesse : c’est Strada qui me l’apprend : Joannem Austriacum, non ex Barbarâ Blombergâ, uti creditum ad eam diem, sed ex longè illustriori ac plane principe feminâ procreatum : cujus ut famæ parceretur prætentam fuisse aliam à Carolo Cæsare. Le même historien remarque que don Juan, trompé deux fois à sa mère, n’y fut jamais détrompé. Il se crut d’abord fils de Madeleine Ulloa, et puis de Barbe Blomberg. Quelque heureux, quelque vigilant qu’il fût à découvrir les plus secrètes intrigues de l’ennemi, il ne put jamais développer ce mystère domestique. Habet profectò undè minùs sibi de suâ sagacitate placeat humanum ingenium quando tantus princeps, atque intima quæque vel in hoste rimari solitus, domi suæ, suorumque ignarus adeo vixerit obieritque, ut bis in matre deceptus, semper alienam coluerit, numquàm suam[3]. Je m’étonne que le père Strada ne dise rien d’une troisième personne qui a passé pour la mère de don Juan. L’auteur d’une docte dissertation, qui fut imprimée l’an 1688[4], parle avec de grands éloges de Catherine de Cardonne, née à Naples, l’an 1519. Elle passa en Espagne, avec la princesse de Salerne, sa cousine, l’an 1559, et s’acquit de telle sorte, par sa vertu et par sa piété, l’estime de Philippe II, qui commanda à Ruy Gomez, prince d’Évoly, gouverneur de don Carlos et de don Juan, d’avoir soin de cette dame. Ruy Gomez la prit chez lui, et la trouvant d’une sagesse admirable, il la pria de se charger de la conduite de sa maison, et de partager avec lui l’éducation des deux princes. Elle s’acquitta de cette charge avec tout le soin imaginable. Don Juan l’honora toujours comme sa mère. L’auteur de la dissertation fait une remarque sur ce mot. Il ne faut pas passer outre, dit-il[5], sans justifier cette sainte d’une horrible calomnie par laquelle quelques-uns, abusant de ce mot, ont voulu faire croire qu’elle était la véritable mère de Jean d’Autriche. Strada de Rosberg semble avoir donné lieu à cette supposition, lorsque, dans sa Généalogie de la maison d’Autriche, il marque la mère de ce prince sous le seul nom de Catherine. Mais la vie si chaste et si mortifiée qu’avait menée Catherine de Cardonne, dès son enfance, ne pouvait pas permettre qu’on eût d’elle un tel soupçon. On ajoute plusieurs autres raisons à celle-là, pour justifier Catherine de Cardonne, et l’on finit la remarque par ces paroles :

  1. Strada, de Bello Belg., decad. I, lib. X, pag. 626.
  2. Idem, ibid.
  3. Idem, ibid., pag. 627.
  4. Dissertation sur l’hémine de vin et sur le livre de pain de saint Benoist.
  5. Pag. 186.