Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/587

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
577
AURÉOLUS.

tion (C). Les dominicains eurent en lui un adversaire redoutable, et le firent réfuter avec beaucoup de vigueur par l’une de leurs meilleures plumes (D). Je dirai quelque chose touchant ses écrits (E). Vous trouverez dans la remarque (A) le temps de sa mort.

(A) Il ne vécut guère depuis qu’il eut été élevé à la dignité d’archevêque d’Aix. ] On lui donna l’archevêché d’Aix l’an 1321, et il se trouve que Jacques de Concos de Cabrairez, dominicain, fut installé à la même prélature le 10 de juillet 1322 [1]. Il faut donc que le 27 d’avril, jour de la mort d’Auréolus [2], appartienne pour le plus tard à l’an 1322. Voyez la négligence de ce temps-là : on se contentait à l’égard d’un archevêque de marquer le jour qu’il mourut ; on ne se souciait pas de la date de l’année.

(B) Il était trop avide de se distinguer par des opinions nouvelles. ] C’est un caractère d’esprit fort dangereux, c’est un écueil bien à craindre : l’on n’a presque jamais vu que ceux qui ont assez de génie et de savoir pour combattre fortement la commune traditive aient assez de jugement pour s’arrêter à propos, et pour discerner ce qui ne vaut pas la peine de la réforme. Vous allez voir un passage où l’on juge sainement de cette sorte d’esprits ; on y range nommément notre Auréolus : Ex hâc classe, insignia ingenia duo, Durandus et Aureolus, minùs benè audiunt, quòd ingeniis quibus valebant plurimùm, indulserint in plerisque, et novas cudere, ac comminisci opiniones, communem tramitem sine causâ deserendo non dubitârint. Estque haud dubiè argumentum judicii minùs exquisiti, nec satis maturi, vel emuncti, ferri facilè, et absque urgenti ratione, extra viam : ità ut quamvis res de quâ agitur, ad scholæ tricas merè pertineat, nec indè dispendium ullum doctrinæ fidei, vel sanis, ac puris moribus sit timendum, tamen consultissimum sit, quandò manifesta ratio non urgel, ab anteriorum placitis non discedere [3]. Il faut néanmoins avouer que ces esprits novateurs [4] et un peu brouillons sont quelquefois nécessaires ; car, sans eux, pourrait-on faire des progrès considérables ? Ne s’endormirait-on pas dans la prétention que tout est déjà trouvé, et qu’il faut acquiescer aux opinions de nos pères, comme à leur terre et à leur soleil ? Les disputes et les confusions excitées par des esprits ambitieux, hardis, téméraires, ne sont jamais un mal tout pur : elles seront un grand mal tant qu’il vous plaira, mais il en résulte des utilités par rapport aux sciences et à la culture de l’esprit. Il n’est pas jusqu’aux guerres civiles dont on n’ait pu quelquefois assurer cela. Un fort honnête homme l’a fait à l’égard de celles qui désolèrent la France au XVIe. siècle. Il prétend qu’elles raffinèrent le génie, ou le langage, à quelques personnes ; qu’elles épurèrent le jugement à quelques autres ; et qu’elles servirent de bain aux uns pour les nettoyer, et d’étrille aux autres, pour faire sauter leur crasse. Voici ses paroles ; il me semble qu’il a pensé, qu’il s’est exprimé assez bien, pour être digne que je les étale ici : Ut sæpè res adversæ inexpectatis bonis locum faciunt, ità in hâc publicâ, et omnium maximâ calamitate res auctor dari potest, quibusdam ingenium evasisse limatius, acumen perspicacius, judicium resecatius, os mundius, scripta purgatiora, prorsùs ut agnoscere liceat, ærumnarum procellas, quibus æstuavimus, his esse balneas quæ sordes eluerunt, aliis strigilem quæ squammam detersit, quibusdam uredinem, quæ absumpsit quicquid luxurians et inutile. Deniquè si quis verè æstimet, nunc demùm intelligimus, eam, quæ reipublicæ tempestas fuit, privatim et pauculis esse cotem quâ acuitur et faculam quâ accenditur quicquid in singulis est optimum [5]. En vérité, le public se passerait bien de telles lessives, ou étrilles, ou limes, ou queux, comme on voudra

  1. Labbe, Dissert. de Scriptor. ecclesiast., tom. II, pag. 184.
  2. Idem, ibidem.
  3. Theoph. Raynaudas, Erotem. de malis ac bonis lib. num. 430, pag. 250.
  4. Je n’entends nullement parler de ceux qui travaillent à des réformations nécessaires. [Leclerc dit que Bayle désigne ici Luther, Calvin, etc.]
  5. Carolus Paschalius, de Optimo Genere Elocutionis, pag. 124.