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AUGUSTIN.

radoxes. « J’ai cru, continue-t-il, que je ne pouvais mieux faire, que d’imiter ce grand cardinal, ayant à répondre à quelques théologiens de Hollande, qui m’avaient objecté que la tradition de l’Église n’était point constante et certaine, en donnant pour exemple les matières de la grâce et de la prédestination, sur lesquelles l’Église avait suivi et autorisé la doctrine de saint Augustin, quoiqu’il se fût éloigné, disaient-ils, des pères tant grecs que latins qui l’avaient précédé. Je leur ai fait voir que la diversité que l’on y pouvait trouver n’était que sur des choses qui n’avaient point été décidées comme de foi, et sur quelques passages de l’Écriture, qui pouvaient être expliqués diversement ; et qu’ainsi l’on ne devait pas accuser l’Église de n’avoir point été constante dans la tradition. » Pour peu qu’on examine cela, on découvre que c’est un fard, ou un plâtre, qui ne peut tromper que les gens simples ; car d’où viennent, je vous prie, les controverses les plus capitales ? N’est-ce point de ce qu’on explique diversement quelques passages de l’Écriture ? Pourquoi donc employez-vous l’idée de cette diversité pour nous faire entendre que saint Chrysostome et saint Augustin ne différent en rien d’essentiel ? Est-ce un accident, est-ce un accessoire, à la doctrine de la grâce, que de savoir en quoi consistent les forces de l’homme pécheur, et quelle est l’essence de sa liberté ? N’est-ce pas plutôt une partie fondamentale de ce dogme ? Si donc ces deux pères sont opposés directement dans l’explication de la nature du franc arbitre, il est sûr que leur discorde concerne le fond, et que l’Église n’a pu adopter l’hypothèse de l’un, sans rejeter celle de l’autre. Ou bien il faudra dire qu’elle approuve une vérité, sans condamner la fausseté opposée ; car enfin, quoiqu’il fût possible qu’ils se trompassent tous deux, il ne l’est point que l’opinion de tous deux soit véritable. Il faut donc, ou que ceux qui suivent les explications de saint Chrysostome se trompent, ou que ceux qui suivent les explications de saint Augustin enseignent une fausseté. Voilà, encore un coup, le grand embarras de la communion de Rome. Elle se voit obligée d’approuver ceux qui donnent tout, et ceux qui ôtent tout à la grâce, par rapport au consentement de l’homme. Une partie de ses docteurs disent que l’homme forme ce consentement avec une pleine liberté de le refuser ; l’autre partie enseigne que la grâce produit ce consentement, sans laisser à l’homme la force prochaine de le refuser. Les uns ou les autres débitent une fausseté qui ne roule point sur une vétille, mais sur un point de très-grande conséquence. Cependant l’église romaine avec son infaillibilité prétendue ne condamne rien là-dessus. Si elle condamne le jansénisme, elle est contrainte de déclarer en même temps qu’elle ne condamne point saint Augustin [1] : c’est défaire d’une main ce que l’on a fait de l’autre. Notez en passant ces paroles de M. Simon : La diversité... n’était que sur des choses qui n’avaient point été décidées comme de foi. C’est-à-dire, que, pourvu que l’on ne débite le mensonge que sur les points qui n’ont pas été encore décidés comme de foi, on ne laisse pas d’être fidèle et bon chrétien : notez, dis-je, ce privilége de la conscience errante. Notez aussi, qu’encore qu’il fût permis de n’être pas du sentiment de saint Augustin, lorsque les matières de la grâce n’avaient pas été encore décidées comme elles le furent au temps de ce père, il ne s’ensuit pas que depuis ces décisions il doive être libre aux écrivains du XVIIe. siècle de revenir au sentiment de saint Chrysostome ; car voici une remarque solide d’un théologien qui ne peut pas être suspect à M. Simon : « Dans les disputes touchant la grâce, l’élection et la prédestination, on a moins d’égard aux anciens pères qui ont vécu avant l’hérésie des pélagiens, qu’à ceux qui sont venus depuis ; et on en a beaucoup plus aux latins qu’aux grecs, quoique postérieurs à cette hérésie... Or, entre les latins, dont nous avons déjà vu que l’autorité le devait emporter au-dessus de celle des autres pères, les théologiens conviennent que saint Augustin est

  1. Voyez la réponse qui a été faite par un janséniste à M. Leydecker. Il en est parlé dans l’Histoire des ouvrages des Savans, en 1697, pag. 251.