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ARSINOÉ.

Bérénice, et d’un Macédonien nommé Philippe, homme de basse extraction. Eurydice, fille d’Antipater, ayant été mariée avec Ptolomée fils de Lagus, mena en Égypte cette Bérénice. Celle-ci coucha avec Ptolomée, et lui donna entre autres enfans Ptolomée Philadelphe, qui régna après son père. Elle fit donner le gouvernement de Cyrène à son fils Magas, qui épousa Apame fille du roi Antiochus, et fut fort brouillé avec Ptolomée Philadelphe. Voilà le Magas de Pausanias [1]. N’est-il pas clair, dira-t-on, qu’il ne peut pas être celui de Justin, ce Magas qui était mari d’Arsinoé, et qui mourut environ le temps que le fils de Pyrrhus fut rétabli dans le royaume d’Épire [2] ? Les critiques peuvent répondre que Magas, roi de Cyrène, ayant régné cinquante ans [3], rien n’empêche qu’il n’ait vécu jusqu’au rétablissement du fils de Pyrrhus, que les meilleurs chronologues placent sous l’an de Rome 493 [4], qui était le vingt-cinquième du règne de Ptolomée Philadelphe. Au lieu donc de dire, comme l’on fait ordinairement, que Justin parle de Ptolomée Évergètes dans son livre XXVI [5], il faut établir qu’il parle de Ptolomée Philadelphe, et que c’est à celui-ci qu’il donne pour frère Magas roi de Cyrène. Que s’il nomme Arsinoé la femme de Magas, ce n’est pas un signe que son Magas soit différent de celui de Pausanias, puisque le même roi de Cyrène a pu être marié successivement avec Apame fille d’Antiochus, et avec notre Arsinoé. Quant au reste, les guerres où il s’engagea contre Ptolomée Philadelphe, selon Pausanias, conviennent très-bien au Magas dont parle Justin. Rex Cyrrenarum Agas decedit qui ante infirmitatem Berenicen unicam filiam ad finienda cum Ptolemæo fratre certamina, filio ejus desponderat [6]. J’avoue qu’elles ne semblent pas convenir au Magas dont Athénée a parlé ; car c’était un homme qui, jouissant de la paix, se plongea dans les délices et dans la fainéantise, et qui, à force de manger, devint si gros, que la graisse l’étouffa [7]. Mais cette objection n’est pas insoluble : un prince dont le règne dure cinquante ans ne peut-il pas s’engager à quelques guerres, et s’abandonner ensuite à un long repos ?

(B) On lâcha sur lui les assassins... dans un temps qu’il avait choisi pour coucher avec Arsinoé. ] Le jésuite Bisselius a trouvé là un sujet d’admiration. Adulteris autem duobus illis, dit-il [8], Berenicâ filiâ mæchæ consciâ, tensæ per dispositos percussores ità sunt insidiæ (quod mireris), ut in ipso flagrantis sceleris ardore deprehensis superveniens adulteræ filia, mæchique conjux Berenice pro talami nefandi foribus subsistens, etc. La circonstance du temps, ni celle du lieu, n’ont rien d’admirable ici. Il était aisé de remarquer quand Démétrius allait à la chambre d’Arsinoé, et c’était l’occasion la plus plausible que les conjurés pussent prendre.

(C) Voici quelques erreurs de M. Moréri. ] 1°. Il n’y a point d’exactitude dans cette expression, Magas donna en mariage Bérénice sa fille à Ptolomée : le latin porte Beronicen... filiam desponderat [9]. Les paroles de Moréri nous cachent un fait qui ne se développe pas dans la suite de sa narration, c’est que Bérénice demeura auprès de son père et de sa mère. On songe à toute autre chose, quand on lit qu’elle fut donnée en mariage à un fils du roi d’Égypte. Afin donc de ne faire pas égarer ses lecteurs, il fallait suivre rigoureusement le mot despondere. Cette remarque est petite en elle-même, mais ses usages peuvent être considérables par rapport à ceux qui veulent traduire. Ils ne sauraient jamais être trop scrupuleux dans l’observation de cette règle : c’est qu’ils doivent éviter tous les termes équivoques, tout ce qui peut empêcher que le lecteur n’ait les idées les plus conformes à la nature de chaque sujet.

  1. Pausanias, lib. I, pag. 6.
  2. Justin, lib. XXVI, cap. III.
  3. Athen., lib. XII, pag. 550.
  4. Voyez Calvisius, ad annum mundi 3690.
  5. Voyez l’index du Justin de M. Grævius, et notez que Bisselius à la IVe. décade Ruinarun illustrium, pag. 1534, suppose que Justin parle d’un Agas frère de Ptolomée Évergètes.
  6. Justin, lib. XXI, cap. III.
  7. Athen., lib. XII, pag. 550.
  8. Bisselius, Ruin. illustrium decad. IV, pag. 1536. Justin a dit, Cui (Demetrio) cùm in lectum socrûs concessisset, percussores immittuntur.
  9. Justin, lib. XXVI, cap. III.