Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 76 —

auteur de ce livre, et presque toute l’influence que le chef reconnu de l’école lyonnaise a exercée sur la littérature de son siècle est l’œuvre de la Délie. L’objet d’une autre étude qui sera publiée sous peu, sera d’analyser les idées et le langage de cet ouvrage étrange que les historiens de la littérature française ont jugé si différemment.

Malheureusement nous ne savons que très peu de chose sur le succès immédiat de cette principale publication de Maurice Scève. L’année 1544 ne fut guère heureuse pour la France politique et littéraire. Charles-Quint occupait la Champagne et avançait jusqu’à Château-Thierry, presque sous les murs de Paris. Henri VIII avait fait une invasion en Picardie avec une armée redoutable et seul le mauvais état de santé et la sénilité des monarques alliés sauvèrent la France dans ce moment désespéré. La paix de Crespy du 18 septembre lia les mains de François Ier et les persécutions contre les hérétiques allèrent redoublant en France au grand péril de la liberté de l’esprit et de la littérature ; le printemps de 1545 amena le massacre des vaudois à Cabrières. — Étienne Dolet fut incarcéré cette même année 1544, et l’on instruisit son procès qui ne finit que sur le bûcher de la place Maubert. Bonaventure Despériers chercha une mort volontaire. Clément Marot finit sa vie dans l’exil et dans la misère à Turin. Bref, le temps n’était pas propice pour un recueil de poésies lyriques très difficiles à comprendre et qui n’avaient pas les qualités propres à égayer une société plongée dans les calamités.

D’autre part, le contraste entre la poésie légère et gracieuse de Marot et de Saint-Gelais dont la renommée était à son apogée, et les vers sérieux, quintessenciés et obscurs de la Délie était si grand, que personne ne s’étonnera de trouver des témoignages qui nous assurent que le premier succès du livre fut très médiocre et qu’on ne le goûta que quelques années après sa publication.

En 1553 Guillaume des Autels, ami très intime et admirateur de Scève, nous apprend que la Délie… (combien qu’elle ait quelques ans demeuré sans crédit sus le vulgaire) a enhardy tant de bons esprits de nous purger de telle peste. (D’une poésie sans idéalisme[1].)

Et dans le Solitaire premier de Pontus de Tyard, qui est un dialogue sur la fureur poétique (malheureusement non encore assez étudié pour la connaissance de la poésie lyrique du seizième siècle), Pasithée, l’interlocutrice du Solitaire, lui adresse les paroles suivantes : Vous souvient-il point de celuy qui un jour arrivant ici me trouvant une Délie en mains : et de quelle grâce, l’ayant prinse

  1. Guillaume des Autels. Amoureux Repos. Lyon, Jean Temporal 1553. Préface : À sa Sainte.