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RUE PRINCIPALE

glissé son arme dans la poche au plus fort de la bagarre.

De ceux-là étaient évidemment Gaston Lecrevier et monsieur Bernard qui, dans le restaurant désert, s’étaient mis à jouer aux cartes, une fois le dernier client parti. En jouant, Gaston parlait beaucoup, ce qui ne l’empêchait pas de gagner tout ce qu’il voulait.

— À propos, mon cher monsieur Bernard, dit-il soudain en terminant une dissertation sur le prix des denrées alimentaires, à propos, rien de neuf dans l’affaire de Marcel ?

— Hélas non, rien du tout. Ce pauvre Gendron s’élance tous les matins dans une direction nouvelle, mais tous les soirs…

— Il se cogne le nez sur une muraille. Je vois ça d’ici. Et pourtant, bonne mère ! on ne m’ôtera pas de l’idée qu’un de ces quatre matins, Bob, qui est loin d’être un imbécile, croyez-en ce que je vous en dis, finira par mettre la main sur l’individu qu’il cherche !

À ce moment la porte s’ouvrit. Mathieu, le boucher, et Girard, le boulanger, entrèrent avec une impétuosité qui ne leur était pas coutumière. Il y avait entre Mathieu, que nous connaissons déjà, et son inséparable ami Girard, une différence d’aspect physique qui étonnait ceux qui, pour la première fois, les voyaient ensemble, et aurait fort probablement fait se gausser les habitants de Saint-Albert si, de mémoire d’homme, on n’avait eu l’habitude de voir Girard où l’on voyait Mathieu et Mathieu où l’on apercevait Girard. Autant Mathieu était grand et fort, autant Girard était petit et mince : autant le boucher semblait menacé d’apoplexie, autant le boulanger avait les joues de la couleur de la farine qu’il pétrissait. Il ne fallait pourtant pas s’y tromper ; dans les coups