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RUE PRINCIPALE

— En tout cas, c’est pour ça que je vais chez lui ce soir.

Ninette hésita quelque peu. Il était visible que ce qu’elle allait dire lui était pénible à exprimer.

— Marcel, poursuivit-elle, j’ai trois cents piastres à la banque. Ça n’est pas énorme, mais enfin c’est quelque chose.

— Le jour où j’aurai trois cents piastres à la banque, ma chère sœur, je commencerai à me demander dans quelle partie du monde il est le plus agréable de vivre de ses rentes.

— Oui, j’ai trois cents piastres. Tu vas en gagner trente toutes les semaines.

— Oui, admettons.

— Si… si la fatalité voulait que je reste quelque temps sans travailler, Marcel, est-ce que… est-ce que je pourrais compter sur toi pour faire marcher le ménage ?

— Mais voyons, naturellement ! As-tu perdu ta position ?

— Non, répondit-elle, mais j’ai l’intention de donner ma démission.

— Donne-la tout de suite dans ce cas-là, conseilla Marcel. T’as pas besoin de me donner d’explications, va ! Je comprends bien que c’est Lamarre qui te fait la vie dure parce que tu veux pas qu’il te la fasse belle. Hein ? C’est bien ça ?

Et comme elle ne répondait rien, il reprit :

— Il y a longtemps que je l’ai jugé ce gars-là, ma pauvre Ninette. Il te trouve une pomme à son goût puis, comme il a soif, il fait ce qu’il peut pour te croquer. Qu’est-ce qu’il t’a fait aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ? Tu sais, si ça peut te faire plaisir, je peux bien aller lui abîmer le portrait un petit peu avant d’aller chez monsieur Bernard. Je te l’ai dit, je suis pas pressé.