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RUE PRINCIPALE

lui, je ne t’en empêche pas. C’est ton affaire. Et si par hasard tu avais envie de faire le méchant avec moi, rappelle-toi que j’ai chez-moi un papier plutôt compromettant, un petit testament qui intéresserait beaucoup ta nièce, si jamais il me prenait fantaisie d’aller le lui porter.

— J’peux pas croire que tu ferais cela, murmura Sénécal, les dents serrées.

— Que veux-tu ? reprit Suzanne, on se protège comme on peut ; sans compter que ça serait une bonne action. Je suis sûre qu’elle ne se ferait pas prier pour me dire merci, elle, si je lui apportais ce petit document-là.

Sénécal eut un regard mauvais.

— Je n’hésiterais pas à te tuer de mes mains pour t’empêcher de faire ça, dit-il.

Pour la première fois, Suzanne eut réellement peur. Quelque chose lui disait que chez cet homme, qui n’avait pas hésité, jadis, à dépouiller sa propre sœur, cette menace n’était pas vaine. Mais cette frayeur, elle eut l’habileté de ne la point laisser paraître.

— Tu es fou ! dit-elle, avec une nuance de pitié.

— Non, je ne suis pas fou. Tu ne t’imagines pas que je vais perdre tout ce que j’ai, que je vais me laisser démolir par une petite rien du tout dans ton genre, sans me rebiffer ?

— Tu sais qu’on est pendu dans ce pays-ci, pour tuer les gens ?

— Sois tranquille, je prendrai mes précautions.

— Je suppose, dit-elle, que tu feras faire ce beau travail par ton ami Jeannotte.

— Essaie de le sortir ce testament-là ! Tu verras ce qui t’arrivera !

— Si j’essaie, ce sera fait. Quoi que tu fasses, toi, après, il sera trop tard.