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nerveuse où se trouve le sujet. Ensuite le haschich, qui donne ces idées, ôte en même temps le pouvoir de s’en servir, car il anéantit la volonté et plonge ses victimes dans un ennui nonchalant où l’esprit devient incapable de tout effort et de tout travail et d’où il ne peut sortir que par l’ingestion d’une nouvelle dose. « Enfin, ajoute-t-il, admettant quelques minutes l’hypothèse d’un tempérament assez bien trempé, assez vigoureux pour résister aux fâcheux effets de la drogue perfide, il faut songer à un autre danger, fatal, terrible, qui est celui des accoutumances. Celui qui aura recours à un poison pour penser, ne pourra bientôt plus penser sans poison. Se figure-t-on le sort affreux d’un homme dont l’imagination paralysée ne saurait plus fonctionner sans le secours du haschich et de l’opium ! »

Et, un peu plus loin, il fait sa profession de foi en ces nobles termes : « Mais l’homme n’est pas si abandonné de moyens honnêtes pour gagner le ciel, qu’il soit obligé d’invoquer la pharmacie et la sorcellerie ; il n’a pas besoin de vendre son âme pour payer les caresses enivrantes et l’amitié des houris. Qu’est-ce qu’un paradis qu’on achète au prix de son salut éternel ? » Suit la peinture d’une sorte d’Olympe placé sur le mont ardu de la spiritualité où les muses de Raphaël ou de Mantegna, sous la conduite d’Apollon, entourent de leurs chœurs rhythmiques l’artiste voué au culte du beau et le récompensent de son long effort. « Au-dessous de lui, continue l’auteur, au pied de la montagne, dans les ronces et dans la boue, la troupe des humains, la bande des ilotes, simule les grimaces de la jouissance et pousse des hurlements que lui arrache la morsure du poison, et le poëte attristé se dit : « Ces infortunés qui n’ont ni jeûné ni prié, et qui ont refusé la rédemption par le travail, demandent à la noire magie les moyens de s’élever, d’un seul coup, à l’existence