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un corps gras, à du miel et à des pistaches, pour lui donner la consistance d’une pâte ou confiture.

La monographie du haschich est médicalement très-bien faite dans les Paradis artificiels, et la science y pourrait puiser des renseignements certains, car Baudelaire se piquait de scrupuleuse exactitude, et pour rien au monde il n’eût glissé le moindre ornement poétique dans ce sujet qui s’y prêterait de lui-même. Il spécifie parfaitement bien le caractère propre des hallucinations du haschich, qui ne crée rien, mais développe seulement la disposition particulière de l’individu en l’exagérant jusqu’à la dernière puissance. Ce qu’on voit, c’est soi-même agrandi, sensibilisé, excité démesurément, hors du temps et de l’espace dont la notion disparaît, dans un milieu d’abord réel, mais qui bientôt se déforme, s’accentue, s’exagère et où chaque détail, d’une intensité extrême, prend une importance surnaturelle, mais aisément compréhensible pour le mangeur de haschich qui devine des correspondances mystérieuses entre ces images souvent disparates. Si vous entendez quelqu’une de ces musiques qui semblent exécutées par un orchestre céleste et des chœurs de séraphins, et près desquelles les symphonies d’Haydn, de Mozart et de Beethoven ne sont plus que d’impatientants charivaris, croyez qu’une main a effleuré le clavier du piano avec quelque vague prélude, ou qu’un orgue lointain murmure dans la rumeur de la rue un morceau connu d’opéra. Si vos yeux sont éblouis par des ruissellements, des scintillations, des irradiations et des feux d’artifice de lumière, assurément un certain nombre de bougies doivent brûler dans les torchères et les flambeaux. Quand la muraille, cessant d’être opaque, s’enfonce en perspective vaporeuse, profonde, bleuâtre comme une fenêtre ouverte sur l’infini, c’est qu’une glace miroite vis-à-vis du