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sentiment profond de ce que nous appellerons décadence, faute d’un mot s’adaptant mieux à notre idée ; mais on sait ce que Baudelaire entendait par décadence. Ne dit-il pas quelque part à propos de ces distinctions littéraires : « Il me semble que deux femmes me sont présentées ; l’une matrone rustique, répugnante de santé et de vertu, sans allure et sans regard ; bref, ne devant rien qu’à la simple nature ; l’autre une de ces beautés qui dominent et oppriment le souvenir, unissant à son charme profond et original l’éloquence de la toilette, maîtresse de sa démarche, consciente et reine d’elle-même, une voix parlant comme un instrument bien accordé, et des regards chargés de pensée et n’en laissant couler que ce qu’ils veulent. Mon choix ne saurait être douteux, et cependant il y a des sphinx pédagogiques qui me reprocheraient de manquer à l’honneur classique. »

Cette compréhension si originale de la beauté moderne retourne la question, car elle regarde comme primitive, grossière et barbare la beauté antique, opinion paradoxale sans doute, mais qui peut très-bien se soutenir. Balzac préférait de beaucoup, à la Vénus de Milo, une Parisienne élégante, fine, coquette, moulée dans son long cachemire par un mouvement de coudes, allant d’un pied furtif à quelque rendez-vous, sa voilette de Chantilly rabattue sur le nez, penchant la tête de manière à montrer, entre le bavolet du chapeau et le dernier pli du châle, une de ces nuques au ton d’ivoire où se tordent gracieusement dans la lumière deux ou trois frisons de cheveux follets. Cela a bien son charme, quoique, pour notre goût, nous aimions davantage la Vénus de Milo ; mais cela tient à ce que, par suite d’une première éducation et d’un sens particulier, nous sommes plus plastique que littéraire.

On se rend compte qu’avec ces idées Baudelaire ait incliné