Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/397

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les voici : c’est le spleen, la mélancolie impuissante, c’est l’esprit de révolte, c’est le vice, c’est la sensualité, c’est l’hypocrisie, c’est la lâcheté. Or n’est-il pas vrai que souvent nos vertus mêmes naissent de leurs contraires ? que notre courage naît du découragement, notre énergie de la faiblesse, notre sobriété de l’intempérance, notre foi de l’incrédulité ? Aurions-nous la prétention de valoir mieux que ne valaient nos pères ? La société actuelle vaut-elle mieux que celles de Louis XIV et de Henri IV ? Pourquoi donc ne supporterait-elle pas une fois ce que celles-là ont toujours supporté de bonne grâce ? Et pourquoi ce fouet sanglant, que l’auteur des Iambes, le dernier, a manié avec tant de vigueur et de franchise, ne viendrait-il pas nous rappeler que le poëte n’est pas nécessairement un douceâtre et un thuriféraire ?

Au surplus, ce fouet, M. Baudelaire ne l’a pas toujours à la main ; il n’est pas toujours ironique ou satirique ; on l’a pu voir par les extraits que j’ai donnés plus haut ; on l’a pu voir par les pièces insérées il y a trois mois dans la Revue française.

Comme transition à des idées moins noires et comme conclusion, je citerai le sonnet suivant qui est à lui seul la clef et la moralité du livre. Il a pour titre l’Ennemi :

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux