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Sempronius était couché sur un lit orné d’ivoire et enrichi de perles ; les rideaux qui le garantissaient du soleil étaient en soie de Perse ; une statue de nymphe, en argent, tenant à la main des rênes de lapis-lazuli et traînée par des chevaux marins de béryl, laissait tomber un filet d’eau parfumée d’une urne de cristal d’Antiparos ; le pavé de la chambre était jonché de roses. Les murs étaient couverts des plus brillantes peintures de l’art grec. Tout respirait la puissante et délicate profusion de la vie patricienne. Mais tout cela était peines perdues. L’esprit du jeune homme était à Éphèse, dans le caveau où il avait vu cette forme d’exquise beauté près d’être anéantie sous le couteau du fanatisme et du crime.

Callias entra subitement dans cette délicieuse retraite et demanda, avec son ton ordinaire, comment le malade se trouvait des soins du nouvel empirique qui était venu pour le sauver de son obstination et de sa bonne volonté à mourir.

Sempronius sourit tristement et prit la main de son ami ; puis il lui dit d’une voix pleine d’émotion : — Callias, je crois que j’ai le cerveau aussi libre que qui que ce soit d’idées superstitieuses, mais il y a dans cet étrange médecin quelque chose au-dessus de l’homme. Quelque sauvages que soient les accents de sa voix, quelque repoussante que soit sa physionomie d’Éthiopien, il a le don de scruter la nature humaine avec un pouvoir despotique. Actuellement, il lit dans mes pensées. Il n’est pas moins maître des secrets de la nature.