Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/453

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quence même. Je n’ai jamais rien entendu d’aussi parfaitement bien dit. Il ne lui offrit ni la pompe, ni la richesse du monde, mais il mit à ses pieds un cœur débordant d’amour, de foi et d’honneur. Si elle avait résisté à cette prière, elle eût été plus ou moins qu’une mortelle. Elle ne fut ni l’un ni l’autre, elle fut femme, — vraie comme la nature, et sensible aux plus douces impulsions de la nature. J’avais triomphé dans sa résistance, je triomphais maintenant dans sa soumission. Je vis avec délices que cette beauté digne d’un être céleste n’était pas une beauté de statue. Ma joue rougit instinctivement quand la rougeur se répandit sur la sienne. Une larme qui tomba de sa paupière fut suivie par mes larmes, et il me semblait que mon âme s’en allait avec elles. Avec un soupir et un sourire, elle reconnut le pouvoir du cœur sur le cœur, et se laissa choir avec les pleurs silencieux de sa joie sur le sein de l’Ionien. À ce moment, le tonnerre roula avec fracas, la décoration s’éleva comme un nuage qui s’envole, et au lieu du simple jardin de l’Hellespont, nous vîmes les immortels bosquets d’Idalie. L’Ionien était l’Amour lui-même rendu à sa forme première, aimable, puissant, folâtre et semblable à un roi. Le jeune dieu, porté sur ses ailes de pourpre, se glissa entre les bras de la belle créature, et la couronna d’amarante en présence des nymphes, comme souvenir de sa métamorphose en immortelle habitante des bocages de l’île d’Amour.

— Et ainsi, — dit Callias, avec un regard froid, son esprit satirique l’ayant préservé de toute émotion, —