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tis alors que ma destinée était dite, mon arrêté écrit, et à jamais ! La conviction perça le profond de mon âme en un instant. Je sentis que c’était clair, brillant, acéré, lumineux, comme les flèches de la vérité. Je ne puis vous dire ni vous expliquer avec quelle anxiété toute nouvelle j’étudiai la marche du drame, et combien j’entrai violemment dans tous les intérêts de cette petite scène. Je me pris à trembler de tous mes membres, quand je la vis successivement tentée par la flatterie enivrante de la poésie, par la promesse de tout ce qui peut chatouiller le cœur de l’orgueil, par les joyaux et par l’or, que le jeune et puissant magicien de nos passions étalait sous ses yeux, entassant vision éblouissante sur vision, et faisant se succéder des tentations de plus en plus dangereuses devant la plus dangereuse des filles de la terre. Elle résista à toutes, et je sentais mon cœur battre d’une manière furieuse et inaccoutumée à chaque nouveau triomphe ; un seul stratagème restait. Les nobles palais, les bosquets dorés, les royales retraites dans lesquelles l’enchanteur avait évoqué ses visions de luxure, d’orgueil et de richesse, s’enfuirent comme des songes. La scène fut un simple jardin, avec une grande vue sur une belle montagne au bord de l’Hellespont. La jeune beauté était maintenant assise sur un amas de roses fraîchement effeuillées, et écoutait un discours que lui faisait un jeune homme dans le simple accoutrement du berger d’Ionie. Sa figure et sa contenance étaient nobles, mais ses paroles étaient la simplicité, la passion, l’élo-