Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/449

Cette page a été validée par deux contributeurs.

épouser la dot de sa fille, cette dot eût-elle l’impudence d’être dix fois plus riche ; dites-lui que vous êtes un fils obéissant et que vous n’avez nullement l’idée de contrarier la volonté de votre excellent père, la mariée fût-elle belle comme les trois Grâces et aimable comme la Mère des deux Amours[1]. Alors, ayant humblement accompli votre obéissance filiale et donné une noce qui fera parler de vous dans Rome pendant vingt-quatre heures, coiffez-vous de votre casque, s’il vous prend encore idées de voyage ; allez honorablement vous battre contre les Parthes, ou éteindre le renom d’Alexandre et bâtir des trophées sur l’Indus, — pour être un jour foulé par les semelles du sauvage, qui utilisera les ruines de votre mausolée pour y installer sa marmite et pendre la crémaillère sur vos illustres os !

Ainsi parla Callias, qui ne pouvait jamais mettre un mors à sa raillerie. Mais il eût probablement voulu retenir sa langue, s’il avait jeté un coup d’œil sur la physionomie de son ami. Le jeune Italien avait d’abord écouté avec un sourire incrédule et languissant, mais à la fin, le sujet le touchant de trop près, son sourcil se contracta, et, la lèvre serrée et la voix tremblante d’indignation, il chargea le Grec des froides imprécations d’une colère concentrée.

— J’ai confié à vous, à vous seul, entendez-vous ! s’écriait le bouillant Romain, la malheureuse, — non,

  1. Éros et Antéros.