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le ciel un être plus malheureux que votre ami Sempronius, quoique le monde entier, comme vous dites, l’entoure de ses sourires.

En ce moment, les serviteurs qui vinrent annoncer le repas du soir l’empêchèrent de commencer son récit. Callias était immensément riche, et il avait le goût exquis d’un Grec ; il conduisit son ami dans un triclinium où il avait rassemblé un choix des plus belles peintures recueillies à grand’peine à Corinthe et dans les îles. Cet appartement, délicieusement sculpté et orné, regardait le couchant, et le soleil prenait plaisir à tamiser ses rayons cramoisis à travers le cristal des fenêtres.

— Vous voyez qu’ici, — dit Callias, non sans laisser voir dans un sourire l’orgueil satisfait du collectionneur, — j’ai suivi un plan différent de celui de vos Romains, qui font autorité en matière d’élégance. Ils placent leurs tableaux dans la lumière la plus large, dans l’endroit le plus clair et le plus public de leur appartement. Quant à moi, je les traite comme les amis de mon âme, je viens pour converser avec eux aussi loin que possible du tumulte général ; et pour rendre notre conversation encore plus intéressante, je prends mon souper dans leur gracieuse compagnie.

Son ami, malgré le poids qui opprimait son cœur ne put s’empêcher de trouver quelque plaisir à l’exquise élégance qui brillait dans chaque objet que rencontrait son œil, et plus encore dans la disposition et l’arrangement des tableaux. Au lieu de les exposer tous éga-