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sonna Flore ; celle-ci eut beau représenter qu’il était trois heures du matin, que tout était fermé au théâtre, le concierge endormi, le temps affreux, — la tempête continuait son tapage, — il fallut obéir à celle qui obéissait elle-même, et la femme de chambre sortit ; quand Cramer, pris d’une nouvelle idée, se pendit à sonnette et s’écria d’une voix tonnante :

« — Eh ! n’oubliez pas le rouge ? »

Ce trait caractéristique, qui a été raconté par la Fanfarlo elle-même, un soir que ses camarades l’interrogeaient sur le commencement de sa liaison avec Samuel, ne m’a nullement étonné ; j’ai bien reconnu en ceci l’auteur des Orfraies. Il aimera toujours le rouge et la céruse, le chrysocale et les oripeaux de toute sorte. Il repeindrait volontiers les arbres et le ciel, et si Dieu lui avait confié le plan de la nature, il l’aurait peut-être gâté.

Quoique Samuel fût une imagination dépravée, et peut-être à cause de cela même, l’amour était chez lui moins une affaire des sens que du raisonnement. C’était surtout l’admiration et l’appétit du beau ; il considérait la reproduction comme un vice de l’amour, la grossesse comme une maladie d’araignée. Il a écrit quelque part : les anges sont hermaphrodites et stériles. — Il aimait un corps humain comme une harmonie matérielle, comme une belle architecture, plus le mouvement ; et ce matérialisme absolu n’était pas loin de l’idéalisme le plus pur. Mais, comme dans le beau, qui est la cause de l’amour, il y avait selon lui