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Dès lors la Fanfarlo fut hebdomadairement éreintée au bas d’une feuille importante. On ne pouvait pas dire ni faire soupçonner même qu’elle eût la jambe, la cheville ou le genou mal tourné ; les muscles jouaient sous le bas, et toutes les lorgnettes eussent crié au blasphème. Elle fut accusée d’être brutale, commune, dénuée de goût, de vouloir importer sur le théâtre des habitudes d’outre-Rhin et d’outre-Pyrénées, des castagnettes, des éperons, des talons de bottes, — sans compter qu’elle buvait comme un grenadier, qu’elle aimait trop les petits chiens et la fille de sa portière, — et autres linges sales de la vie privée, qui sont la pâture et la friandise journalière de certains petits journaux. On lui opposait, avec cette tactique particulière aux journalistes, qui consiste à comparer des choses dissemblables, une danseuse éthérée, toujours habillée de blanc, et dont les chastes mouvements laissaient toutes les consciences en repos. Quelquefois la Fanfarlo criait et riait très-haut vers le parterre en achevant un bond sur la rampe ; elle osait marcher en dansant. Jamais elle ne portait de ces insipides robes de gaze qui laissent tout voir et ne font rien deviner. Elle aimait les étoffes qui font du bruit, les jupes longues, craquantes, pailletées, ferblantées, qu’il faut soulever très-haut d’un genou vigoureux, les corsages de saltimbanque ; elle dansait, non pas avec des boucles, mais avec des pendants d’oreilles, j’oserais presque dire des lustres. Elle eût volontiers attaché au bas de ses jupes une foule de petites