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très-vaniteuse ni très-fière de ma figure ; mais, je vous jure, monsieur Cramer, que maintes fois, la nuit, vers trois ou quatre heures du matin, fatiguée d’attendre mon mari, les yeux rouges de larmes et d’insomnies, après avoir fait de longues et suppliantes prières pour son retour à la fidélité et au devoir, j’ai demandé à Dieu, à ma conscience, à mon miroir, si j’étais aussi belle que cette misérable Fanfarlo. Mon miroir et ma conscience m’ont répondu : Oui. Dieu m’a défendu de m’en glorifier, mais non d’en tirer une légitime victoire. Pourquoi donc entre deux beautés égales, les hommes préfèrent-ils souvent la fleur que tout le monde a respirée, à celle qui s’est toujours gardée des passants dans les allées les plus obscures du jardin conjugal ? Pourquoi donc les femmes prodigues de leur corps, trésor dont un seul sultan doit avoir la clef, possèdent-elles plus d’adorateurs que nous autres, malheureuses martyres d’un amour unique ? De quel charme si magique le vice auréole-t-il certaines créatures ? Quel aspect gauche et repoussant leur vertu donne-t-elle à certaines autres ? Répondez donc, vous qui, par état, devez connaître tous les sentiments de la vie et leurs raisons diverses !

Samuel n’eut pas le temps de répondre, car elle continua ardemment :

— M. de Cosmelly a des choses bien graves sur la conscience, si la perte d’une âme jeune et vierge intéresse le Dieu qui la créa pour le bonheur d’une autre. Si M. de Cosmelly mourait ce soir même, il aurait bien