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mauvais, et les enragés qui veulent à tout prix se procurer des jouissances féeriques ont continué à se servir du haschisch qui avait traversé la Méditerranée, c’est-à-dire fait avec du chanvre indien ou égyptien. La composition du haschisch est faite d’une décoction de chanvre indien, de beurre et d’une petite quantité d’opium.

Voici une confiture verte, singulièrement odorante, tellement odorante qu’elle soulève une certaine répulsion, comme le ferait, du reste, toute odeur fine, portée à son maximum de force et pour ainsi dire de densité. Prenez-en gros comme une noix, remplissez-en une petite cuiller, et vous possédez le bonheur ; le bonheur absolu avec toutes ses ivresses, toutes ses folies de jeunesse, et aussi ses béatitudes infinies. Le bonheur est là, sous la forme d’un petit morceau de confiture ; prenez-en sans crainte, on n’en meurt pas ; les organes physiques n’en reçoivent aucune atteinte grave. Peut-être votre volonté en sera-t-elle amoindrie, ceci est une autre affaire.

Généralement, pour donner au haschisch toute sa force et tout son développement, il faut le délayer dans du café noir très-chaud, et le prendre à jeun ; le dîner est rejeté vers dix heures ou minuit ; une soupe très-légère seule est permise. Une infraction à cette règle si simple produirait ou des vomissements, le dîner se querellant avec la drogue, ou l’inefficacité du haschisch. Beaucoup d’ignorants ou d’imbéciles qui se conduisent ainsi accusent le haschisch d’impuissance.