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pluvieux d’automne, en 1804, comme il errait dans les rues de Londres pour se distraire de son mal (c’était la première fois qu’il revoyait Londres depuis son entrée à l’Université), il fit la rencontre d’un camarade qui lui recommanda l’opium. Une heure après qu’il eut absorbé la teinture d’opium, dans la quantité prescrite par le pharmacien, toute douleur avait disparu. Mais ce bénéfice, qui lui avait paru si grand tout à l’heure, n’était plus rien auprès des plaisirs nouveaux qui lui furent ainsi soudainement révélés. Quel enlèvement de l’esprit ! Quels mondes intérieurs ! Était-ce donc là la panacée, le pharmakon népenthès pour toutes les douleurs humaines ?

« Le grand secret du bonheur sur lequel les philosophes avaient disputé pendant tant de siècles était donc décidément découvert ! On pouvait acheter le bonheur pour un penny et l’emporter dans la poche de son gilet ; l’extase se laisserait enfermer dans une bouteille, et la paix de l’esprit pourrait s’expédier par la diligence ! Le lecteur croira peut-être que je veux rire, mais c’est chez moi une vieille habitude de plaisanter dans la douleur, et je puis affirmer que celui-là ne rira pas longtemps, qui aura entretenu commerce avec l’opium. Ses plaisirs sont même d’une nature grave et solennelle, et, dans son état le plus heureux, le mangeur d’opium ne peut pas se présenter avec le caractère de l’allegro ; même alors il parle et pense comme il convient au penseroso. »

L’auteur veut avant tout venger l’opium de certaines