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Un jour, peu de temps après cet accident, il fit dans Albemarle-street la rencontre d’un ancien ami de son père, qui le reconnut à son air de famille ; il répondit à toutes ses questions avec candeur, ne lui cacha rien, mais exigea de lui sa parole qu’il ne le livrerait pas à ses tuteurs. Enfin il lui donna son adresse chez son hôte, le singulier attorney. Le jour suivant, il recevait dans une lettre, que celui-ci lui remettait fidèlement, une bank-note de dix livres.

Le lecteur peut s’étonner que le jeune homme n’ait pas cherché dès le principe un remède contre la misère, soit dans un travail régulier, soit en demandant assistance aux anciens amis de sa famille. Quant à cette dernière ressource, il y avait danger évident à s’en servir. Les tuteurs pouvaient être avertis, et la loi leur donnait tout pouvoir pour ramener de force le jeune homme dans l’école qu’il avait fuie. Or, une énergie qui se rencontre souvent dans les caractères les plus féminins et les plus sensibles, lui donnait le courage de supporter toutes les privations et tous les dangers plutôt que de risquer une aussi humiliante éventualité. D’ailleurs, où les trouver, ces amis de son père mort il y avait alors dix ans, amis dont il avait oublié les noms, pour la plupart du moins ? Quant au travail, il est certain qu’il aurait pu trouver une rémunération passable dans la correction des épreuves de grec, et qu’il se sentait très-capable de remplir ces fonctions d’une manière exemplaire ; mais encore, comment s’ingénier pour se faire présenter à un éditeur honorable ? Enfin,