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L’homme au déjeuner de qui il assistait et à qui il dérobait quelques croûtes de pain (celui-ci le croyait malade et ignorait qu’il fût absolument dénué de tout) lui permit de coucher dans une vaste maison inoccupée dont il était locataire. En fait de meubles, rien qu’une table et quelques chaises ; un désert poudreux, plein de rats. Au milieu de cette désolation habitait cependant une pauvre petite fille, non pas idiote, mais plus que simple, non pas jolie certes, et âgée d’une dizaine d’années, à moins toutefois que la faim dont elle était rongée n’eût vieilli prématurément son visage. Était-ce simplement une servante ou une fille naturelle de l’homme en question, l’auteur ne l’a jamais su. Cette pauvre abandonnée fut bien heureuse quand elle apprit qu’elle aurait désormais un compagnon pour les noires heures de la nuit. La maison était vaste, et l’absence de meubles et de tapisseries la rendait plus sonore ; le fourmillement des rats emplissait de bruit les salles et l’escalier. À travers les douleurs physiques du froid et de la faim, la malheureuse petite avait su se créer un mal imaginaire : elle avait peur des revenants. Le jeune homme lui promit de la protéger contre eux, et, ajoute-t-il assez drôlement, « c’était tout le secours que je pouvais lui offrir. » Ces deux pauvres êtres, maigres, affamés, frissonnants, couchaient sur le plancher avec des liasses de papiers de procédure pour oreiller, sans autre couverture qu’un vieux manteau de cavalier. Plus tard cependant, ils découvrirent dans le grenier