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relativement à leur forme habituelle ce que la mélancolie poétique est à la douleur positive.

Mais, avant tout, remarquons que dans le récit de cette dame (c’est dans ce but que je l’ai transcrit), l’hallucination est d’un genre bâtard, et tire sa raison d’être du spectacle extérieur ; l’esprit n’est qu’un miroir où le milieu environnant se reflète transformé d’une manière outrée. Ensuite, nous voyons intervenir ce que j’appellerais volontiers l’hallucination morale : le sujet se croit soumis à une expiation ; mais le tempérament féminin, qui est peu propre à l’analyse, ne lui a pas permis de noter le singulier caractère optimiste de ladite hallucination. Le regard bienveillant des divinités de l’Olympe est poétisé par un vernis essentiellement haschischin. Je ne dirai pas que cette dame a côtoyé le remords ; mais ses pensées, momentanément tournées à la mélancolie et au regret, ont été rapidement colorées d’espérance. C’est une remarque que nous aurons encore occasion de vérifier.

Elle a parlé de la fatigue du lendemain ; en effet, cette fatigue est grande, mais elle ne se manifeste pas immédiatement, et, quand vous êtes obligé de la reconnaître, ce n’est pas sans étonnement. Car d’abord, quand vous avez bien constaté qu’un nouveau jour s’est levé sur l’horizon de votre vie, vous éprouvez un bien-être étonnant ; vous croyez jouir d’une légèreté d’esprit merveilleuse. Mais vous êtes à peine debout, qu’un vieux reste d’ivresse vous suit et vous retarde, comme le boulet de votre récente servitude. Vos jambes