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Il était de peau d’ours, — mais d’un ours bien léché,
Moelleux comme une chatte, et frais comme une rose ;
Hassan avait d’ailleurs une très noble pose,
II était nu comme Eve à son premier péché.

Quoi ! tout nu ! dira-t-on, — n’avait-il pas de honte ?
Nu ! dès le second mot ! — Que sera-ce à la fin ?
Monsieur, excusez-moi ; — je commence ce conte
Juste quand mon héros vient de sortir du bain.
Je demande pour lui l’indulgence, et j’y compte.
Hassan était donc nu ; — mais nu comme la main,

Nu comme un plat d’argent, nu comme un mur d’église.
Nu comme le discours d’un académicien.
Ma lectrice rougit, et je la scandalise.
Mais comment se fait-il, madame, que l’on dise
Que vous avez la jambe et la poitrine bien ?
Comment le dirait-on, si l’on n’en savait rien ?

Madame alléguera qu’elle monte en berline,
Qu’elle a passé les ponts lorsqu’il faisait du vent ;
Que, lorsqu’on voit le pied, la jambe se devine ;
Et tout le monde sait qu’elle a le pied charmant.
Mais moi, qui ne suis pas du monde, j’imagine
Qu’elle aura trop aimé quelqu’indiscret amant.

Et quel crime est-ce donc de se mettre à son aise,
Quand on est tendrement aimée, — et qu’il fait chaud ?
On est si bien tout nu, dans une large chaise !
Croyez-m’en, belle dame, et ne vous en déplaise.
Si vous m’apparteniez, vous y seriez bientôt.
Vous en crîriez sans doute un peu, — mais pas bien haut !

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Tout est nu sur la terre, hormis l’hypocrisie ;
Tout est nu dans les cieux, tout est nu dans la vie,
Les tombeaux, les enfants et les divinités.
Tous les cœurs vraiment beaux laissent voir leurs beautés.
Ainsi donc le héros de cette comédie.
Restera nu, madame, — et vous y consentez.

Que de beaux vers de Musset je pourrais vous citer surtout dans Rolla, ou dans Portia… et qu’il faudrait supprimer, si c’était là de l’outrage à la moralité publique…