Page:Baudelaire - Les Fleurs du mal, Conard, 1922.djvu/403

Cette page n’a pas encore été corrigée

Puis fidèle au rôle qu’il s’est tracé, le poète, après avoir montré le vice, le flagelle en des vers vengeurs, et quels vers ! Ecoutez, messieurs :

— Descendez, descendez, lamentables victimes.
Descendez le chemin de l’enfer éternel ;
Plongez au plus profond du gouffre où tous les crimes,
Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel,

Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d’orage ;
Ombres folles, courez au but de vos désirs ;
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage.
Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Loin des peuples vivants, errantes, condamnées,
A travers les déserts courez comme les loups ;
Faites votre destin, âmes désordonnées,
Et fuyez l’infini que vous portez en vous !

Je n’ai pas résisté au désir de vous citer ces beaux vers, mais vous, messieurs, dans la chambre du conseil, vous relirez toutes les pièces poursuivies et vous vous demanderez si c’est bien là ce qui constitue le délit d’outrage à la morale publique ; vous vous le demanderez, en comparant l’œuvre de Baudelaire et les quelques vers que peuvent contenir quelques pièces, en les comparant, dis-je, à ce que vous lisez tous les jours dans notre littérature moderne, et je parle ici des auteurs les plus illustres, les plus aimés, les plus populaires, à ceux que personne n’a jamais pensé à incriminer au point de vue de l’outrage à la morale publique ; et pourtant jamais Baudelaire n’est allé si loin qu’eux…

Vous trouverez dans mon dossier toute une série, et je vous assure qu’elle est nombreuse, de pièces détachées que j’ai recueillies dans notre littérature moderne, cela fait une assez jolie collection. Vous me permettrez bien de vous en lire ici quelques pièces. Voici par exemple les œuvres de ce poète charmant qui s’appelle Alfred de Musset. Est-ce qu’il n’a pas commis la Ballade à la lune ;

Peut-être quand déchante
Quelque pauvre mari.
Méchante,
De loin tu lui souris.