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Le mal dès lors régna dans son immense empire ;
Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire
Commença de souffrir ;
Et la terre, et le ciel, et l’âme, et la matière.
Tout gémit, et la voix de la nature entière
Ne fut qu’un long soupir.

Levez donc vos regards vers les célestes plaines,
Cherchez Dieu dans son œuvre ; invoquez dans vos peines
Ce grand consolateur.
Malheureux ! sa bonté de son œuvre est absente,
Vous cherchez votre appui ? l’univers vous présente
Votre persécuteur.

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Créateur tout-puissant, principe de tout être !
Toi pour qui le possible existe avant de naître !
Roi de l’immensité,
Tu pouvais cependant, au gré de ton envie,
Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie
Dans ton éternité !

Sans t’épuiser jamais, sur toute la nature
Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure
Un bonheur absolu.
L’espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte:
Ah ! ma raison frémit; tu le pouvais sans doute,
Tu ne l’as pas voulu.

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Montez donc vers le ciel, montez, encens qu’il aime.
Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème.
Plaisirs, concerts divins !
Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles,
Montez, allez frapper les voûtes insensibles
Du palais des destins !

Terre, élève ta voix:cieux, répondez; abîmes.
Noir séjour où la mort entasse ses victimes,
Ne formez qu’on soupir !
Qu’une plainte éternelle accuse la nature,
Et que la douleur donne à toute créature
Une voix pour gémir !

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