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Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux ;
Et nous rentrons gaîment dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas.
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Transformez cela en prose, messieurs, supprimez la rime et la césure, recherchez ce qu’il y a au fond de ce langage puissant et imagé, quelles intentions s’y cachent ; et dites-moi si nous n’avons jamais entendu tomber ce même langage du haut de la chaire chrétienne, et des lèvres de quelque prédicateur ardent ; dites-moi si nous ne trouverions pas les mêmes pensées, et quelquefois peut-être les mêmes expressions dans les homéhes de quelque rude et sévère père de l’Eglise ?

Voilà donc son programme, si je puis me servir de ce mot ; c’est la guerre déclarée aux vices et aux bassesses de l’humanité, et comme une malédiction lancée à toutes les hontes qui

Occupent nos esprits et travaillent nos corps.

Il s’indigne parce que

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches

et c’est véritablement le langage élevé d’un moraliste qu’il tient, dans cette première page où il entre en communication avec le lecteur pour stigmatiser si rudement

La sottise, l’erreur, le péché, la lésine…

Voilà tout ce qu’il veut poursuivre, tout ce qu’il veut châtier dans des vers vengeurs et, certes, ce n’est pas pour de pareils sentiments que vous le condamneriez.

Serait-ce donc pour la méthode employée, pour le procédé auquel il a recours, pour ce que j’appellerai sa manière ? peindre le vice, mais le peindre sous des couleurs violentes, — je dirai, si vous le voulez, sous des couleurs exagérées, — pour mieux faire ressortir ce qu’il renferme d’odieux et de repoussant, voilà le procédé.