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XXIV
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

douleur délicieuse », ont mieux montré sa voie à l’impressionnisme que de gros traités, — allait se voir contraint de fuir ses créanciers dans le décor ignominieux de mauvaises chambres d’hôtel, — il en changera trente ou quarante fois au cours des vingt-trois ans qui lui restent à vivre. Le lion raffiné dont le pinceau d’Émile Deroy venait de fixer, sur la toile qui est aujourd’hui au musée de Versailles, la chevelure ondée, l’ironie distante et méditative, et la main si aristocratiquement nerveuse pendant hors de la manchette plissée, allait connaître une pénurie qui l’exilerait de la bonne société, où il était né, pour le condamner à l’atmosphère des cafés et des music-halls. Cet esthète, qui n’admettait pas que la vie pût avoir d’autre but que le culte désintéressé de la Beauté, et qui répugnait résolument à s’engager dans les routes moutonnières où s’acquièrent les succès faciles, voici qu’il était acculé à devenir un professionnel de la plume dont la subsistance dépendrait de la faveur du public et des éditeurs !


Baudelaire connut alors de terribles convulsions où se mêlèrent et prévalurent tour à tour le désespoir, la colère, l’appétit de vengeance, la voix de la raison, les soifs de l’ambition. Par ses violences, il acheva de se brouiller avec son beau-père et avec son demi-frère, qu’il ne devait plus revoir. Quand il eut pris conscience de sa part de responsabilité dans ses infortunes, il eut recours au suicide, suprême sacrement du dandysme : « Je me tue parce que je suis inutile aux autres et dangereux à moi-même. » Cependant, s’étant raté, il prétendit relever le gant que lui avait jeté le destin, et cette période nous le montre s’appliquant résolument enfin à produire, dans les genres les plus divers. En 1845, il donne des articles de critique littéraire au Corsaire et publie son premier Salon. À la vérité ce