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XV
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

des vers romantiques, la conclusion que c’était une cervelle à l’envers. Un répétiteur auprès duquel il faisait sans doute l’essai de ces bravades excessives dont il devait trop se plaire, bientôt, à scandaliser sa famille, lui reproche ses mensonges et son affectation. On voit qu’avec sa non-conformité, s’affirmait déjà sa tendance à en exagérer l’effet, tant par orgueil sans doute que pour le plaisir d’étonner, et peut-être aussi en suite de quelque secrète révolte contre cet isolement auquel il se sentait voué.

Reçu bachelier après une expulsion de Louis-le-Grand qu’on a, sans preuves à l’appui, rapportée à une aventure de dortoir, le moment était venu pour lui de choisir une carrière. Sa mère et son beau-père le voulaient secrétaire d’ambassade. Il leur déclara sans ambages qu’il serait auteur. Auteur !

Un poète sinistre, ennemi des familles.
Favori de l’Enfer, courtisan mal rente…

— « Quel désenchantement ! quel chagrin ! » se souviendra, près de trente ans après, la bonne Mme Aupick. Ne rions point trop fort, sachons faire la part des intentions. Des vers qu’il avait écrits à cette date, il n’y en avait pas trois où l’on pût deviner un grand poète à venir, et M. et Mme Aupick eussent été bien en peine de les distinguer. D’ailleurs nés tous deux dans le dénuement et tous deux grandis dans la préoccupation de l’avenir, comment auraient-ils pu ne pas déplorer que Charles renonçât au bénéfice d’une situation sans aléa ? Sachons leur gré bien plutôt de ne pas s’être catégoriquement opposés à sa vocation.


Les premières années qui suivirent furent, pour Baudelaire, une période de préparation. Nous sommes en 1838.